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Wikipedia, ses espoirs, ses menaces, Par Daniel SCHNEIDERMANN

Libération, 14/10/2005

lundi 17 octobre 2005

Le nom revient avec insistance, ces derniers jours, sur les forums Internet, sur les blogs, dans les fiévreux débats en ligne. Le nom et la photo de la nouvelle compagne de Sarkozy ? Lisez donc Wikipedia. La nouvelle affaire de plagiat d’Ardisson ? Wikipedia en parle. La fabrication par Fogiel d’un faux message SMS ? C’est sur Wikipedia, bien entendu.

Sous-entendu : si c’est sur Wikipedia, c’est vrai. Est-ce nouveau ? Oui et non. La dépossession progressive des médias traditionnels de leur rôle de source exclusive d’information, au bénéfice des francs-tireurs de la Toile, est entamée depuis une bonne dizaine d’années, disons depuis l’affaire Monica Lewinski. Ce qui est nouveau, c’est l’apparition d’un lieu central, doté de l’apparence de la neutralité encyclopédique, et proclamant son ambition implicite de devenir la nouvelle référence universelle.

Au premier abord, Wikipedia, encyclopédie en ligne uniquement rédigée par des contributeurs volontaires, et anonymes, est une utopie des plus séduisantes. Ainsi le savoir et l’information peuvent-ils venir d’en bas, et n’être plus octroyés d’en haut. Ainsi peuvent-ils franchir les filtres néfastes des chapelles, des copinages, des omertas. Ainsi le simple jeu de l’émulation et du débat contradictoire (chaque contributeur peut modifier à sa guise les articles déjà rédigés) peuvent-ils être la meilleure voie vers l’impartialité.

Si Wikipedia constitue une menace (supplémentaire) pour les médias traditionnels, c’est que son instantanéité lui permet de s’immiscer dans leur chasse gardée : l’actualité la plus brûlante. Avec des trous, bien entendu, mais aussi des résultats étonnants. Au milieu de cette semaine, par exemple, l’encyclopédie en ligne n’accordait aucun écho au conflit de la SNCM ; en revanche, elle offrait un dossier très complet (social, économique, météorologique) sur les suites de l’ouragan Katrina. A propos des affaires qui agitent le petit monde des médias français, Wikipedia manifeste une réconfortante célérité. Le SMS raciste fabriqué par Marc-Olivier Fogiel, les nouvelles découvertes sur l’ampleur du plagiat littéraire commis naguère par Thierry Ardisson, figurent en effet en bonne place dans les notices que consacre Wikipedia à ces deux éminents personnages. Et tout cela, dans un style apparemment neutre, qui crédibilise toutes les informations.

Quant à la personne à qui la rumeur prête le statut de nouvelle compagne de Nicolas Sarkozy, elle figure déjà en bonne place dans Wikipedia, avec notice biographique et photo. « La divulgation, ou non, de sa relation avec Nicolas Sarkozy était l’objet d’un discret débat au sein de la presse française, rappelle la notice anonyme. Il aura fallu que la blogosphère s’empare de la nouvelle pour qu’enfin France Soir rompe ce secret de Polichinelle. Le tout-Paris médiatique et politique était au courant de la situation depuis le mois d’août 2005. En Suisse, le Matin a donné des détails sans équivoque le 8 octobre 2005. Nicolas Sarkozy a porté plainte contre France Soir et l’AFP, qui ont diffusé la nouvelle » (texte du mercredi soir). En l’occurrence, le rédacteur est peut-être allé un peu vite, Nicolas Sarkozy ayant seulement, à notre connaissance, annoncé une intention de porter plainte.

Dans un premier temps, la séduction de cette immédiateté ne peut que faire ressortir les frilosités, les lourdeurs et les réticences des médias traditionnels. Que penser en effet du Monde, qui accorde une interview-tribune à Fogiel sans même lui demander d’explications sur la fabrication du faux SMS (lire page 36 la chronique de Pierre Marcelle) ? Que penser de l’éternelle reprise du ballet de suiveurs que dansent les médias dans le nouvel épisode du feuilleton conjugal Sarkozy ? Voyez comme nous sommes d’élégants suiveurs. Des suiveurs consciencieux. Des suiveurs à réticences. Admirez, chers lecteurs, la manière dont nous ne vous donnerons pas le nom de la nouvelle compagne de Nicolas Sarkozy. Admirez ensuite comment nous vous le donnons, tout en ayant grandement préféré ne jamais vous le donner. Remerciez-nous de vous le livrer finalement, puisque vous y avez droit.

Mais cette séduction ne dissipe pas les inquiétudes que suscite l’émergence possible d’un nouvel organe de référence parfaitement anonyme, et donc vulnérable à toutes les manipulations. Qui aura le temps et l’énergie nécessaires pour actualiser, jour après jour, Wikipedia ? Les plus impliqués, les plus militants, les mieux organisés. Dans sa gestion des polémiques, Wikipedia semble encore balbutiante. Ainsi l’article de Tariq Ramadan, par exemple, est-il mentionné comme « soupçonné de partialité ». D’autres articles sont signalés « en cours de neutralisation » (mais toujours en ligne). Dans ce purgatoire, on relève entre autres les articles : affaire Elf, anarchisme, Bruno Gollnisch, culture de la Belgique, débat sur le traité constitutionnel européen, drapeau du Québec, Françoise Hardy, histoire de la frontière sur le mont Blanc, Patrick Le Lay, perfide Albion, perversité, pornographie, scientologie, voile en France. Etc., etc. Qui donc travaille dans l’ombre à la rédaction des versions définitives ? Quelle autorité supérieure arbitrera ? Mystères. Dans l’impossible rôle d’organe de référence, le successeur du Monde s’appellera peut-être Wikipedia. Mais il n’est pas certain que la démocratie gagne au change.

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