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Un ministre et un ministère qui cassent l’éducation nationale et l’enfance. Par Jacques Pain

Conférence de presse, St-Denis, 7/07/2008

dimanche 3 août 2008

UN MINISTRE ET UN MINISTÈRE QUI CASSENT L’ÉDUCATION NATIONALE ET L’ENFANCE

Jacques PAIN, professeur des Universités, Paris X- Nanterre.

Ceux qui voyagent beaucoup, sinon s’informent, savent que l’éducation de la petite enfance reste l’une des grandes urgences de la planète. Cent à cent vingt millions d’enfants sont « à la rue », et les deux tiers d’entre eux sont sans abri. Cinquante mille autres sont des enfants soldats. Huit cent mille adolescentes et jeunes gens ont intégré les bandes centro et nord américaines, les « maras ». Dans un certain nombre de pays du monde, et par exemple en Haïti, des milliers d’enfants sont des enfants « domestiques », des enfants « esclaves ».

Or l’Europe est entrée dans la même sphère de turbulence, par la mondialisation.

En 2050, une personne sur deux ne sera pas originaire du pays où elle vit.

C’est ce contexte violent qui réclame avec une force sans précédent la nécessité d’une éducation « suffisamment bien équilibrée » et institutionnalisée de la petite enfance, à la mesure de ces enjeux et de la dénaturation humaine, toujours aux aguets, dans l’ordinaire d’une société cyniquement préoccupée d’elle-même et de son niveau de vie.

La délinquance a désormais une école ouverte : la société elle-même.

Les modélisations de la personnalité enfantine s’inscrivent dans des cadres symboliques, des institutions, des groupes « primaires », et c’est là que se construisent l’enfance, puis l’adolescence. C’est un réseau d’humanisation. Rien ne peut remplacer l’école, et la contention, ou la forclusion, du tumulte social qu’elle autorise fort heureusement. Jamais en effet la société ne fut aussi « insécure », comme disent les experts officiels. Nous dirons politiquement et psychiquement insécure.

Pour grandir, il faut de l’institution, de l’attention, du soin, et fondamentalement une très grande sécurité affective, qui n’exclut pas la vigilance mais au contraire en est la condition. Nous savons bien que l’éveil intellectuel est étroitement lié à ces prises de distance « cognitives » sereines qui sont le propre des postures « réflexives ».

Réfléchir, penser avec, puis contre les lieux communs, discuter, conflictualiser le savoir, c’est vieux comme le monde des premières lumières, juste après l’aube humaine.

Or l’aménagement scolaire que l’on nous propose fait l’impasse sur le temps. Il « taylorise » ou « stackanovise » l’espace-temps psychique. Il efface ou presque, ce que j’appellerai les « anti-disciplines » artistiques et expressives, « émotionnelles ». Il érige en dogme le formalisme des apprentissages ; dont on sait qu’il ne réussit qu’aux milieux déjà formatés, formalisés, et qu’il n’est en rien la garantie d’une pensée libre et mature, bien au contraire.

Déjà nos meilleurs psychiatres et pédagogues critiquaient ces « normosés » de l’école scolastique, aux mains des professeurs « psychorigides » de la maîtrise. Quelle humanité souhaitons-nous ?

Les enfants doivent-ils désormais grandir « par défaut » ?

Les « mal élevés » sociaux sont les légions de la violence.

L’enfance et l’adolescence sont en quelque sorte les premiers trésors de la culture humaine. Qu’en font-ils, ces sophistes de la barbarie post-moderne ?

J’étais en Guyane en septembre 2007, entre autre à Apatou, sur le Maroni, à deux heures trente de pirogue de St Laurent. Ecoles maternelles, primaires, un collège, des tenues uniformes, jeans ou jupes, polos de couleurs différentes. Les enfants arrivent par le fleuve, très tôt ; les pirogues circulent dès cinq heures.

J’ai vu une séquence d’EPS se faire à 14h au collège, sous 40 au soleil. Nous-mêmes étions anéantis, et collés sous les ventilos. Question de planning, nous dit-on !

Là, j’ai vu l’Europe d’hier, et le monde de demain selon nos édiles français : lorsque les cours ou les classes fonctionnent, des voix « de France » psalmodient des incantations, reprises en chœur, parfois l’on chante, et une voix claire s’élève, sans doute le champion choisi du chant maternel. Ou, au collège, est au tableau le vétéran de la récitation. Comme j’en vis dans les DOM TOM, et à Madagascar autrefois. Merci à la France coloniale de nous remettre tous à égalité : récitons, chantons, et surtout « par cœur ». Les meilleurs y mettront « du cœur » en plus. Ils y gagneront un bréviaire de grammaire moderne, « simplifiée », bien sûr. Mais rappelons leur qu’il y avait en fin d’année « les cahiers au feu et la maître au milieu ».

J’ai d’ailleurs participé à une discussion surréaliste sur « l’aide aux devoirs », après la classe, en collège, à Apatou. A quelle heure rentrent-ils chez eux ? Et si on faisait des internats, deux fois par semaine ? On ne va pas faire du rattrapage sur les pirogues ?!! Et le planning ?! La « maître-pensée » politique ne connaît plus l’être humain. Elle pense pour elle-même.

La France ne connaît pas ses banlieues. Et elle a fait de ses territoires coloniaux ou post coloniaux des « banlieues de la mémoire », des banlieues mentales. Un livre d’histoire.

Sauf que, dans la cour, à Apatou, ces enfants, adolescents, jeunes gens, retrouvent leur âge et leur identité, leur « grandeur », et parlent. Ils parlent enfin, toutes et tous, près de soixante langues vernaculaires différentes. L’un de mes amis, qui connaît bien la question, m’avait dit avant de partir, à propos de ces populations, Bushinengue, Amérindiennes, Hmongs, Brésiliennes, Créoles, « métro », « si tu connais bien la Seine St Denis, tu t’y retrouveras ». D’ailleurs, me dit une amie guyanaise, « en plus », depuis quelques mois, des Nord-africains remontent par le Brésil, sur St Georges et l’Oyapoc. La société métisse, mixte, plurielle, multi-pluri, culturelle : sans doute y est-on. Et si c’était une chance ? La France peut encore se permettre de construire des élites différenciées, et « républicaines », démocratiques. En s’y appliquant très tôt.

Un laboratoire du 21è siècle ! Un laboratoire pour l’école et l’enfance du monde, pour la réussite de la civilisation. Le monde entier va devenir un laboratoire, et nous avons les premiers résultats sous les yeux.

La sécurité mentale, le contrôle émotionnel, la structure sociale, socialisée, de base, le respect, la reconnaissance, l’estime de soi, cadrent les conduites dans les premières années. Attention, être humain !

En Guyane, la moitié de la population a moins de 25 ans, et n’a ni diplômes ni travail.

Alors l’école leur va bien ! Les Bushis du Surinam, avec les récentes inondations du Maroni, ont passé le fleuve, la population Bushi guyanaise - six ethnies différentes - va doubler à la rentrée 2008 dans nos écoles. En France, ils seront accueillis et seront, c’est vrai, au calme et en sécurité, habillés, même nourris s’ils sont au collège, qui termine à 16h.

Il reste, dans nos écoles, juste assez de « démocratie d’apprentissage » pour tenir une éducation « à savoir », qui soit aussi une éducation institutionnelle des pulsions.

Ne rien dire que nous n’ayons fait.

Que ces ministres nous parlent enfin des terrains difficiles, en les citant et les connaissant, et en raisonnant par le défi scolaire, et non par le minimum bagagiste.

Ne domestiquons pas l’enfance. Elle nous le retournera dans le monde de guerres sociales d’aujourd’hui, par la révolte et l’insoumission, la haine des maîtres et des institutions pauvres en présence symbolique. L’être humain est une « biospécificité » inaugurale à peine installée, et largement inconnue. Le symbolique est notre identité. Commençons par notre école, et notre France à l’école. C’est le nucléaire de la société de demain.

Penser l’école autrement, ou monter les cadences ? Le modèle de l’usine et de l’école des maîtres de forges n’est pas loin.

C’est une insulte à l’intelligence. L’école éduque autant qu’elle enseigne.

Que dirait Baudelaire, ce grand génie malmené : « Laissons l’enfance aux enfants ». Mais non loin des adultes. Le père ; ou la mère, en Guyane matrilinéaire, Bushi.

Les repères sont les boussoles de la personnalité. Mondialisation obligée ! Mais « personnalisée ».

La pédagogie a deux mille ans. Les experts et les petits penseurs de l’école d’aujourd’hui seraient incapables de subir, encore moins de diriger, en personne, deux semaines de classe dans nos ZEP préférées, Mantes, Les Mureaux, Goussainville, Trappes, et je ne cite pas toutes celles que j’aime.

Encore moins sauraient-ils comprendre ailleurs l’intelligence quotidienne des enfants de la rue. Certains parlant déjà deux ou trois langues, mal. Mais : « je ne demande qu’à aller à l’école, ou à l’université », me disait l’un d’entre eux, à Olinda, à Recife. 14 ou 15 ans ?

Ce que je pense, c’est que cette politique de l’école vise à décrocher l’état de sa prise en charge nationale, et à abandonner l’éducation de l’enfance, l’école de la petite enfance, les fondamentaux sociaux d’aujourd’hui. La réforme, régression, actuelle, reprend le grand tri sélectif. C’est un retour aux évidences de classes. Merci de ce retour à Marx.

Les meilleurs réussiront, sauf qu’ils seront moins socialisés. Et les autres, échoués, seront socialement brillants dans la violence, cette deuxième école et deuxième société de l’avenir.

Un mécanisme se dessine dans ce 21è siècle tourmenté, à partir de cet écrasement de l’éducation, et de cet abandon programmé de l’enfance par un monde adulte trop pressé, trop simpliste par intérêt, en fait tenu par ses agios.

Ce syndrome d’abandon, de déshumanisation, affiché dans les pays qui nous précèdent dans la violence, mérite une qualification de maltraitance aggravée.

Notre gouvernement en est à ses débuts, il vient de constituer les prémices avérées de la maltraitance « institutionnelle ».

Les enfants désormais le savent, ils grandissent et grandiront alors contre les adultes.

Ni à côté, ni avec eux, contre.

C’est pourquoi je reprendrai l’idée d’un observatoire, d’un tribunal de la pensée, qui se réunirait et jugerait nos états et nos gouvernements sur leur compétence en Education, sur leur investissement en Intelligence humaine, et en fin de compte sur leur Humanité.

Car, en fait, c’est le premier placement, l’homme, cette « force de travail et d’intelligence ».

Ils oublient que nous serons de plus en plus « intelligents », ces gens-là.

Il y a vingt ans déjà, une institutrice qui se réclamait de la pédagogie institutionnelle dans sa classe de perfectionnement matérialisait ainsi les deux « lois » fondatrices de l’école : « Ici, c’est une école, on travaille » ! Mais encore : « Chacune, chacun, a le droit d’être tranquille, dans son cœur, son corps, ses affaires ».

Vigilance et disponibilité vont alors de pair.

Jacques Pain, 7 Juillet 2008.

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