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Grande figure de la littérature chinoise du XXe siècle

Pa Kin (1904 - 2005)

Le Monde, 19/10/2005

mercredi 2 novembre 2005, par Antoine MICHELOT

L’ÉCRIVAIN chinois Pa Kin (ou Ba Jin en pinyin) est mort à Shanghaï, lundi 17 octobre. Il était âgé de 100 ans.

Grande figure de la littérature chinoise du XXe siècle - aux côtés de Lao She et Lu Xun -, espoir toujours déçu d’un prix Nobel, Pa Kin a connu la pathétique fin des morts-vivants, rivé de longues années dans un état végétatif sur son lit d’hôpital de Shanghaï. « La longévité est un châtiment », aurait-il soufflé à un entourage auquel il exprimait le dépit de se voir refuser le secours de l’euthanasie. Ultime courroux d’un esprit libre ?

Héros des lettres officielles, président en titre de l’Association des écrivains de Chine jusqu’au dernier instant, Pa Kin résume la tragique destinée des intellectuels chinois dont la révolte de jeunesse fut broyée par leur ralliement, après 1949, au régime communiste.

Né le 25 novembre 1904 à Chengdu (province du Sichuan) dans une famille de mandarins traditionnels, Li Feigan - c’est son vrai nom - s’éveille tôt à la conscience politique dans le grand ébranlement moderniste et anticonfucéen qui suit la chute de la dynastie mandchoue (1911) et l’échec de la République de Sun Yat-sen.

En ces années d’effervescence où la fine fleur de la jeunesse chinoise s’exile pour se frotter aux idées nouvelles, il s’embarque en 1927 sur un cargo de la compagnie des Indes, à destination de Paris, où il restera deux ans. « J’ai pour seul Dieu l’humanité, pour elle je consens à tous les sacrifices », écrit alors le rebelle qui, avant de quitter Shanghaï, collaborait déjà à la revue anarchiste Banyue ( La Quinzaine) et s’était initié à l’espéranto.

A mille lieues de l’exaltation souhaitée, le séjour à Paris n’est pourtant que froideur et mélancolie. Logé dans une misérable chambre d’un hôtel du Quartier latin, le jeune Chinois est accablé de solitude et, rendu insomniaque par le « lugubre » carillon de Notre-Dame, s’adonne à l’écriture pour apaiser ses tourments.

Ainsi s’ébauche son premier roman, Destruction, le récit de la marche au martyre d’un révolutionnaire romantique dans le Shanghaï des concessions, qu’il achèvera à Château-Thierry (Aisne).

DEUX TRILOGIES

Un auteur est né. Mais un nom surtout apparaît : Li Feigang se choisit Pa Kin comme pseudonyme. Le « Kin » est un hommage à Kropotkine. Contrairement à la légende, le « Pa » n’a rien à voir avec Bakounine (prononcé en chinois Pa-ku-ning), mais s’inspire d’un certain Pa Enbo, un ami chinois de Château-Thierry qui s’était suicidé en se jetant dans une rivière. Aussitôt paru à Shanghaï, le roman est un succès, plébiscité par la jeunesse.

De retour au pays, Pa Kin se voue désormais exclusivement à l’écriture. Durant vingt années (1928-1948), il bâtit une oeuvre abondante où trônent deux trilogies. La première est rassemblée sous le titre Amour : Brouillard (1931), Pluie (1932), Tonnerre (1933) - un quatrième volet viendra achever l’ensemble, Eclair (1934). La seconde prend pour titre Torrent : Famille (1931), Printemps (1938), Automne (1940). Puis ce seront deux romans : Le Jardin du repos (1944) et Nuit glacée (1946).

Les thèmes de la révolte contre la famille oppressive et du sacrifice des coeurs purs se croisent dans cette oeuvre tourmentée, parfois désespérée jusqu’au nihilisme, reflet d’une époque tragique où s’affrontent le vieux et le neuf sur fond de guerre civile et d’occupation japonaise. Famille est probablement le roman le plus accompli de Pa Kin, le plus autobiographique surtout. Dans le huis clos de la maison du chef de clan Gao, où la nuit laisse échapper les sanglots étouffés des âmes seules, trois frères tentent de s’affranchir de la tyrannie de la tradition féodale tandis qu’au dehors souffle le vent de la liberté. Les coeurs justes pourtant n’auront d’autre choix que de se résigner ou de fuir.

A partir de 1949, l’auteur Pa Kin cesse d’exister, condamné à l’impuissance créatrice par la République populaire fraîchement installée. Le libertaire se met au service du parti. A mille lieues du « sacrifice » exalté dans ses romans, le voilà même commissaire aux basses besognes. Lors du « mouvement anti-droitier » de 1956, il s’attaque lâchement aux écrivains Ding Ling, Ai Qing ou Feng Xuesheng. Il se reprochera vivement plus tard d’avoir joué au « perroquet » du régime.

Puis ce sera son tour d’être jeté en pâture aux calomniateurs. Lors de la Révolution culturelle, Pa Kin est soumis à toute une série d’humiliations. Réhabilité après la chute de la Bande des quatre en 1976, il redevient un notable des lettres officielles mais il n’eut de cesse de vouloir tirer les enseignements de la « colossale escroquerie » de la Révolution culturelle.

Il nourrit le projet d’édifier un Musée de la Révolution culturelle afin d’ « empêcher que l’histoire ne se répète » ( Pour un Musée de la Révolution culturelle, Editions Bleu de Chine). Visée bien trop subversive pour un régime qui n’a jamais fait acte de « repentance » sur le sujet. Dernière volonté de Pa Kin, le musée n’a jamais vu le jour.

Frédéric Bobin

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