Hacked By Awad Sahar
Accueil du site > Hacked By Awad Sahar > Enseignement - Pédagogie > La directrice. Par Michel Le Neuf

La directrice. Par Michel Le Neuf

lundi 22 décembre 2008

C’est une histoire comme il y en a plein. L’histoire de Monsieur G, un papa, et d’une directrice d’école. Monsieur G est nouveau dans le quartier. Il a deux petits garçons. Le petit est à la maternelle, le grand est en 2e année. Il est arrivé à l’école un jour, sans trop qu’on sache d’où il venait. Il y en a qui disent qu’il vient du Sûroit et qu’il a abouti ici après une sombre et triste histoire de divorce et de garde d’enfant. Il est arrivé avec à peu près rien. Il s’est trouvé un logement pas cher et il est allé chez Centraide pour se trouver des meubles. Il fait son épicerie au comptoir alimentaire à l’autre bout de la ville et il y va à pied parce qu’il n’a pas d’auto.

L’autre matin il a appelé à l’école pour dire que ses enfants étaient malades. Il pense que c’est à cause de la viande hachée qu’on lui a donnée au comptoir de la paroisse et qui n’avait pas l’air très fraîche. Mais quand t’as faim... Il raconte à la secrétaire que les enfants ont vomi dans leur lit et que ça sent mauvais. Gêné, il lui demande si elle connaît un truc pour nettoyer ça et surtout pour faire disparaître l’odeur... Elle lui demande ce qu’il a chez lui comme produits nettoyants et s’il a ce qu’il faut pour soigner les enfants. Évidemment, quand la priorité c’est d’avoir quelque chose à manger pour les petits, on ne pense pas à mettre ce qu’il faut dans l’armoire sous le lavabo. Et quant à la pharmacie...

Sur l’entrefait, la directrice arrive. Sa secrétaire lui raconte. Et la directrice, elle a fait ce qu’elle fait chaque fois que des choses comme celles-là arrivent. À l’heure du dîner, elle se rend au Maxi du coin, et elle achète un kit de base de produits nettoyants et ce que ça prend dans une pharmacie pour s’occuper de deux jeunes enfants : des Tylenols au raisin, des bandes qu’on fait fondre sous la langue pour ne pas tousser la nuit, des brosses à dents neuves, des Gravols, de l’Antiphlogistine et tutti quanti.

Elle appelle un vendeur de matelas et elle lui demande comment on fait pour nettoyer et faire partir les odeurs. Parce que la directrice, dans sa tête, elle voit un petit enfant malade, couchée dans un lit qui sent le vomi. Elle a l’évocation facile. Après toutes ces années, elle ne s’habitue ni ne s’endurcit. Elle aime ses petits. Alors le monsieur des matelas lui dit qu’il n’y a pas grand’chose à faire. Bon... C’est Noël qui s’en vient, elle tente le coup : "Est-ce que ça vous tenterait de donner au suivant ?", lui demande-t-elle. Elle lui explique. Et là, le monsieur lui dit qu’il lui arrive que des clients lui demandent de reprendre leur matelas usagé quand il en livre des neufs et que quelquefois, ces matelas usagés sont dans un excellent état. Il va en trouver un, et il va le livrer sans frais chez Monsieur G. Merci Monsieur Matelas !

La directrice revient à l’école et elle parle de ça à la salle du personnel. Elle est émue, encore une fois, pour la centième fois. Et là, il y a un prof, puis un autre qui dit qu’il a plein de trucs à donner, des draps pour enfants et tout ça. C’est fort des larmes de directrice quand ça coule pour des enfants. Plein de choses se sont enchaînées ensuite. Des dons, des actions et tout. Monsieur G est venu à l’école pour dire merci. Et Monsieur G, il pleurait à chaudes larmes. Ses enfants mangeront à Noël. Ils auront des pyjamas neufs et des cadeaux. Et il y a la fille de la directrice qui ira avec ses amies s’occuper des enfants, les garder aussi quand Monsieur G aura besoin.

Et la directrice sera vraiment contente quand elle pensera à ses petits qui dorment au chaud dans des pyjamas neufs, sur des matelas qui sentent bon. Parce que c’est tellement beau des enfants qui dorment.

Et puis elle se dira qu’il faut vraiment travailler fort, sans compromis, pour que tous ses enfants sachent lire à la fin de la 1re année, pour qu’on puisse le plus rapidement possible satisfaire leur goût d’explorer et d’apprendre, avant que le système n’éteigne tout ça. Parce que soulager la misère d’un enfant, elle sait que c’est la partie facile. Lui donner les outils pour qu’il en sorte, c’est moins simple.

Je ne sais pas toute la suite de cette histoire-là. C’est juste l’histoire d’une directrice et d’un papa, de deux petits et de quelques adultes. Monsieur G tire le diable par la queue. En fait, la queue du diable, elle lui est restée dans les mains. Il y a plein de choses qu’on peut faire sans y être obligé. Et ces choses-là, quand on est à la direction d’une école, on a plein de raisons de ne pas les faire ou simplement les voir : la tâche trop lourde, les réunions inutiles, l’évaluation de notre plan de réussite. Mais cette directrice-là, elle est la championne dans la catégorie de ceux qui font des choses qu’on est pas obligé de faire quand on est directrice d’école. Pas obligée ? Enfin, pas si sûr. Cette directrice elle est obligée. C’est son coeur qui l’oblige. Elle refuse de ne pas voir, renonce à se protéger, ne baisse jamais les bras. Il n’y a pas de plus fortes obligations que celles qu’on laisse notre coeur nous faire.

Ça prend des gens comme elle pour que dans notre beau grand système d’éducation où on a le choix entre l’école publique et l’école privée grâce aux généreuses subventions de l’État, des gens choisissent Monsieur G et ses enfants pour lesquels ce choix n’existe pas. Dans la vraie vie, quoiqu’en pensent nos ministres,vous ne pouvez pas choisir l’école de vos enfants Monsieur G. Mais aujourd’hui, il y a une directrice dont on ne parlera jamais qui ne choisit ni ne sélectionne un seul de ses élèves, qui de loin, borde vos petits et les aime avec vous. Ce n’est pas rien. Je suis sûr que ce soir, quand vous entrouvrirez la porte de leur chambre, pour voir si tout va bien, vous sentirez au-dessus de votre épaule une présence. Ce sera elle, la directrice.

Voir en ligne : Le dernier restaurant... (8/12/2008)

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0