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Point de vue

À monsieur le Président directeur général de "l’entreprise France" ..., par Daniel Cohn-Bendit

LE MONDE | 17.02.09

mardi 17 février 2009

Monsieur le Président, j’ai souvenir d’une réunion, il y a quelques mois, avec d’autres responsables du Parlement européen, où vous nous affirmiez avec aplomb que vous deviez tout faire vous-même en France, car sinon rien ne se faisait. Puis vous avez par la suite revendiqué fièrement votre propension à intervenir dans tout et sur tout, moquant l’inertie de vos prédécesseurs.

Même si nous sommes rarement d’accord, je dois reconnaître que vous avez cette qualité d’aborder énergiquement les problèmes. Aussi, après vous être si vaillamment attaqué à l’immoralité des bonus des banquiers et autres traders, j’aimerais que vous considériez quelques instants la singulière situation d’un "fleuron" de l’industrie française.

Au moment où le PIB national connaît un recul spectaculaire, le groupe pétrolier Total vient d’annoncer un bénéfice record pour l’année 2008, avec 13,9 milliards d’euros, soit une hausse de 14 %, qui perpétue une série d’années déjà bien fastes. On peut déjà saluer le fait que la répartition de cette manne n’ait pas complètement oublié les salariés, bien que savoir que près de 37 % des bénéfices seront redistribués aux actionnaires relativise nettement cette "générosité" sociale. Vous noterez en passant qu’on est particulièrement loin de votre règle des trois tiers.

Mais je crois que la question justement est ailleurs. Car ce ne sont pas seulement les sommets atteints cet été par les fluctuations du prix du brut, d’après les chiffres, ce sont bien les marges de raffinage, liées entre autres à la demande de carburant diesel, qui ne cessent d’enrichir ainsi le groupe pétrolier français. C’est-à-dire les activités pétrochimiques dont l’impact sur l’environnement est le plus catastrophique - je rappelle que Total est responsable dans le monde à lui seul de 58,4 millions de tonnes de CO2, ce qui correspond au total d’émission d’un pays industrialisé comme la Suisse.

La dette écologique du groupe pétrolier s’était déjà singulièrement alourdie il y a dix ans lors de la dramatique marée noire causée par le naufrage de l’Erika (estimation du coût environnemental autour de 1 milliard). Je voudrais d’ailleurs qu’on rapporte ces 14 milliards de bénéfices au misérable 0,192 milliard d’indemnités que le groupe a accepté de payer après sa condamnation, tout en persistant dans son refus de reconnaître sa responsabilité.

À l’heure où les conséquences de notre modèle de développement fondé sur les énergies carbonées deviennent évidentes pour tous, cette dette écologique se double en plus d’une dette sociale. Bien sûr, le groupe paye des impôts dans tous les pays où il est implanté. Mais sa responsabilité à l’égard de la communauté nationale (et internationale) va bien au-delà de cette simple formalité administrative : Total est peut-être une compagnie privée, mais il n’est pas une île. Il a donc des responsabilités à la mesure de son impact sur la dégradation de notre environnement à tous.

On ne peut plus conserver une vision de l’entreprise comme un univers clos, appuyé sur une vision micro-économique où seuls les actionnaires, les employés et l’entreprise même seraient le théâtre clos de l’économie. Où sont les consommateurs, les usagers, les citoyens ? Où est la réparation des coûts provoqués par les externalités négatives, engendrés par les dégâts collatéraux, écologiques et sociaux, de l’entreprise Total ?

Quatorze milliards, monsieur le Président ! C’est plus que la moitié du premier plan de relance que vous venez d’engager. Avec cet argent, on pourrait déjà financer quelques investissements significatifs pour commencer à sortir de l’économie du pétrole : dans les énergies renouvelables, dans les transports propres, dans la transformation radicale de notre modèle de croissance extensive, les possibilités sont nombreuses et les priorités évidentes. Mais qu’apprend-on ? Que si M. de Margerie compte bien investir, c’est dans l’exploration de nouveaux champs hydrocarbures ou dans les capacités de raffinage - voire dans le nucléaire, qui a peut-être moins d’impact sur le climat, mais qui n’est ni propre ni renouvelable.

Autrement dit, Total investit dans la consolidation d’un modèle économique dépassé et terriblement coûteux pour notre environnement et pour nous tous. Car, au bout du compte, qui devra payer la réparation des dommages écologiques, pétroliers ou nucléaires ? Les citoyens à travers leurs impôts et de nouvelles taxes et les pays pauvres dont les ressources sont pillées et les populations exploitées.

Nous ne nous laissons pas leurrer par les réassurances d’engagement écologique de la part de Total. Ses priorités d’investissements à venir démontrent que la rentabilité immédiate et le court-termisme continuent d’inspirer sa stratégie. Finalement, Martin Hirsch ne prend aucun risque à exiger que Total embauche, puisque le groupe l’a d’ores et déjà annoncé - mais sur quel objectif industriel ? Une croissance de l’activité et de l’emploi dans le secteur le plus polluant (le raffinage), ou bien le développement massif des énergies vertes renouvelables, voire la création d’emplois visant à restaurer le milieu naturel et la biosphère ?

Il est temps de changer cette vision surannée de l’entreprise et des interdépendances économiques, sociales et écologiques. Si vous aviez une vision globale du monde, vous exigeriez autre chose, monsieur le Président-directeur général de l’entreprise France. Vous exigeriez que Total crée les bons emplois. Autrement dit, qu’il investisse dans l’avenir et non dans le passé. Vous aviez déclaré à l’occasion du Grenelle de l’environnement qu’il y avait là une "réserve de croissance fantastique".

Alors que la direction de Total ne semble pas le voir et, en tout cas, ne fait rien, il est temps que vous, vous fassiez quelque chose - puisque sans vous rien ne se fait en France.

Daniel Cohn-Bendit, député européen, tête de liste Europe écologie Ile-de-France

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