Voilà, la loi Hadopi (aka Création et Internet)[1] vient de passer à la sauvette, en pleine nuit, plus tôt qu'il n'était prévu; malgré la résistance farouche d'une poignée de députés[2] pas toujours soutenus par leur parti.

Comme dans tout, il y a du bon et du moins bon.

Le bon coté

Parce que j'essaye de regarder toujours le bon coté des choses[3], je vais commencer par l'aspect positif de cette loi. Je pense que dans un premier temps, le trafic pair à pair utilisé pour la contrefaçon des oeuvres va baisser. On le sent, Hadopi a fait du bruit, L'annonce de la loi et la peur du gendarme va faire son oeuvre et les contrefacteurs du dimanche vont réduire leurs téléchargements illégaux. On va voir le ministère de la culture publier des résultats et s'en féliciter. Qu'on ne se méprenne pas : c'est une bonne chose. Je ne souhaite pas la mort des majors. Par la suite, les premiers emails envoyés par Hadopi et les premiers courriers recommandés vont enfoncer le clou. Les téléchargeurs vont encore diminuer leur activité. On aura droit à un autre communiqué triomphant des majors et du gouvernement, claironnant la victoire de la loi au secours de l'industrie d'Hollywood sur les "mauvais penchants" des internautes.

Le mauvais coté

Malheureusement, le coté négatif des choses va l'emporter. Hadopi est une victoire à la Pyrrhus, c'est à dire une victoire si coûteuse pour le vainqueur qu'on pourrait souhaiter qu'elle n'ait pas eu lieu. Voici pourquoi :

Une victoire temporaire

Il est vraisemblable que la protection de l'industrie du divertissement ne soit que temporaire. En effet, le risque est grand que le téléchargement illégal reprenne de plus belle alors que des moyens techniques pour éviter de se faire repérer sont développés. Ca n'est pas une vue de l'esprit. J'ai récemment testé des plates-formes techniques de téléchargement illégal. J'en ai parlé avec d'autres professionnels du Web. Nous avons tous été bluffés par l'incroyable qualité des celles-ci. On sent qu'elles sont réalisées par des passionnés ultra-compétents. A ce titre, elles sont supérieures à toutes les plates-formes légales que j'ai vu. Rapides, bien conçues, sans pub, avec du contenu soigneusement sélectionné et traduit et surtout disponible avant l'offre légale payante, faisant appel au chiffrement (peut-être partiel) pour éviter de se faire repérer. La plate-forme de rêve, en quelque sorte.

Par ailleurs, comme je l'ai déjà expliqué, il est très simple de mettre en place des solutions de contournement : il suffit de faire un VPN (Réseau Privé Virtuel, donc chiffré) sur un serveur étranger, qui lui ira télécharger pour vous et transmettra les fichiers chiffrés. De telles solutions packagées existent déjà comme iPredator. On pourra citer des dizaines d'autres méthodes (récupération de documents envoyés en streaming par un proxy local, accès à des serveurs de téléchargement type rapidshare sur abonnement) ou des moyens pour "prouver" son inocence alors qu'on est coupable (via des machines virtuelles).

Le sens de l'histoire : les industries d'Hollywood sont condamnées dans tous les cas.

Le numérique a fondamentalement changé tout ce qui est lié à l'information. Pour faire simple, avant, on diffusait des objets qui "portaient" l'information. Un livre, un journal, un vinyl, une cassette vidéo. Maintenant, l'information est dématérialisée, et Internet est une formidable machine à transférer l'information en la dupliquant. Toi aussi, cher lecteur, en lisant cette article, tu en as fait une copie sur ta machine. Instantanément. Sans que ça ne me coûte rien (enfin, 15 EUR par an d'hébergement associatif), sans que ça ne te coûte rien, à part ton abonnement ADSL. Cet article sera probablement lu par plus de 10'000 personnes dans les jours à venir. A coût négligeable. Il y a encore quelques années, diffuser 10'000 photocopies de cet article par la poste m'aurait coûté plusieurs fois le SMIC et m'aurait demandé plusieurs jours de travail.

Le numérique est là pour longtemps. On peut raisonnablement dire que c'est une révolution, tant les changements qu'il provoque sont importants. A une autre époque, l'imprimerie a déjà changé la façon dont l'information était transmise, grace à une industrialisation de la copie. Les moines copistes à l'époque on vu leur monopole de la diffusion de l'information s'évanouir et leur métier disparaître. Ils étaient bien sûr opposés à l'imprimerie. Avec le recul, il est impossible de regretter l'invention de l'imprimerie, compte tenu de l'explosion culturelle qu'elle a autorisé. Pourtant, sous la pression des lobbies d'Hollywood, la France a fait voter une loi qui tente d'endiguer le numérique pour protéger une industrie, celle du contenu, qui n'a pas su faire face au numérique, peut-être parce que ça n'est tout simplement pas possible.

La France prend du retard dans les nouvelles technologies

La France a des atouts énormes qui pourraient lui permettre de jouer dans la cour des grands sur le plan numérique pourtant, la loi Hadopi et la loi DADVSI avant elle, viennent brider la France dans ce domaine. Prenons deux exemples :

  1. L'Amendement 50 de la loi Hadopi explique "la Haute Autorité attribue aux offres proposées par des personnes dont l’activité est d’offrir un service de communication au public en ligne un label permettant aux usagers de ce service d’identifier clairement le caractère légal de ces offres et elle veille à la mise en place ainsi qu’à l’actualisation d’un système de référencement de ces mêmes offres par les logiciels permettant de trouver des ressources sur les réseaux de communications électroniques.". On voit bien que c'est incompréhensible. Faudra-t-il que Google fasse remonter les sites d'offres légales dans ses résultats (vous imaginez le bazar ?). Faut-il que les navigateurs soit modifiés spécialement pour la France afin de faciliter la différence entre les sites légaux et les sites illégaux ? (Ils peuvent toujours rêver !)
  2. Avec de telles lois, la France passe pour un pays hostile à Internet. Du coup, les français vont monter leurs services à l'étranger, et les entreprises américaines qui veulent s'établir en Europe vont choisir des pays autres que la France.

La démocratie ressort diminuée

Parce que je comprends les enjeux de la loi Hadopi et que je suis un farouche démocrate, je ne peux que souffrir en suivant les débats à l'Assemblée Nationale. Je suis outré du vote en catimini et en urgence. Je suis terriblement embarrassé de voir une ministre défendre une loi absurde – parce qu'elle se doit de le faire, parce qu'elle est défendue par son parti – sans y croire et visiblement sans saisir l'énormité occasionnelle de ses propos. Je suis consterné de voir qu'on est considéré comme coupable tant qu'on a pas prouvé son innocence si quelqu'un a usurpé votre adresse IP. Je suis en colère à la perspective de devoir mettre un mouchard logiciel sur mon ordinateur pour prouver mon innocence.

Conclusion : Une perte colossale d'énergie pour un résultat positif négligeable

La loi Hadopi est partie d'un bon sentiment. Je ne peux pas le nier. Mais ce bon sentiment pousse à la naïveté. Peut-on vraiment croire qu'on va revenir en arrière ? Oublier Internet et le numérique ? Faire comme s'ils n'existaient pas ? Nier la révolution qu'ils apportent ? A l'heure de la mondialisation, les entrepreneurs d'Internet ont intérêt à aller à l'étranger. Les internautes ne vont pas tarder à utiliser des systèmes qui permettront de continuer le téléchargement illégal sans prendre de risque. Les industries d'Hollywood, pourront-elles continuer à exister comme avant ? Sûrement pas. En substance, je vois dans Hadopi l'image d'un fermier qui voudrait arrêter la pluie : il court avec une casserole pour attraper les gouttes. Il dépense beaucoup d'énergie pour avoir l'air ridicule sans obtenir aucun résultat (à part quelques gouttes dans une casserole et des récoltes piétinées).

Quelques liens :

Notes

[1] Ils ont trouvé ce titre orwellien parce que "tentative ratée de préservation d'une industrie moribonde par une classe politique qui ne comprend rien au numérique sous l'influence de lobbies", ça faisait moins vendeur. Oui, je suis énervé par cette débacle !

[2] Martine Billard (GDR), Patrick Bloche (SRC), Jean-Pierre Brard (GDR), Jean Dionis du Séjour (NC), Christian Paul (SRC) et Lionel Tardy (UMP).

[3] Dans mon immense bonté, voici les paroles de ce joyau de sagesse.