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Point de vue

Faisons passer la politique du système propriétaire à celui du logiciel libre. Par Daniel Cohn-Bendit

LE MONDE | 15.06.09

lundi 15 juin 2009

Et maintenant, qu’allons nous faire ? Cette question agite désormais tous les esprits, du centre à l’extrême gauche, et même au-delà. Depuis une semaine, cerveaux et calculettes sont en surchauffe dans tous les états-majors politiques. Les bons résultats d’Europe Ecologie au soir du 7 juin suscitent convoitises, spéculations et aussi fantasmes de petits arrangements entre amis...

Dans un jeu politique qui reste tristement classique, j’admets que la question n’est pas sans importance, ni totalement illégitime. Mais je préfère, par précaution, avertir ceux qui espèrent nous voir céder aux maquignonnages d’appareils qu’ils risquent fort d’y être pour leurs frais. Depuis une semaine, je dis et répète : Europe Ecologie n’est pas propriétaire de ses électeurs. Si un droit de propriété électoral devait exister, ce serait évidemment celui des citoyens sur les formations qui les représentent, et non l’inverse ! Saine évidence que nos concurrents - et peut-être futurs partenaires - devraient méditer.

Soyons clairs : je ne cherche pas à éluder la question de la stratégie et des alliances possibles. Je veux d’abord que l’on comprenne que notre succès n’est pas le fruit d’un vote d’humeur, ni même d’un habile agencement de nos convictions écologistes et européennes. Les idées, pas plus que les personnes, n’appartiennent pas à quelqu’un. Elles ont vocation à circuler librement, à se propager et à évoluer aux contacts des autres. Certains, déjà, ne se sont pas gênés de puiser dans nos propositions et ils seront bien plus nombreux encore à le faire dans les mois qui viennent. Qu’ils sachent que nous jugerons de leur sincérité à leurs actes et non à leurs discours.

La pollinisation de nos idées sur l’Europe sera à coup sûr moins évidente, tant elle est susceptible de faire imploser la vieille matrice sur laquelle repose l’organisation institutionnelle des pouvoirs dans ce pays. Nous avons pris des engagements forts pour transformer l’Europe et ses modes de fonctionnement et nous n’avons pas l’intention d’y déroger. Bien au contraire ! Cela répond en partie à la question de savoir ce nous allons nous faire maintenant.

En partie seulement. Car nous serions autistes si nous ne comprenions pas que le succès de nos listes traduit aussi un désir intense de voir changer la manière d’être en politique et un espoir soudain de voir inventer des liens nouveaux et plus étroits entre la société et ceux qui choisissent de porter leurs aspirations à l’intérieur de l’espace public.

C’est précisément cette façon de dire et de faire qui est la chose la plus novatrice dans le rassemblement Europe Ecologie. Dans sa composition, sa construction, comme dans son fonctionnement, il parvient à incarner l’esprit du projet de civilisation que nous portons : celui d’une société qui refuse de sacrifier la diversité à l’unicité ou à la fragmentation ; celui d’un rassemblement où la multiplicité des parcours individuels est productrice de valeurs communes plutôt que d’ambitions personnelles et, in fine, celui d’un projet où les convictions sont sources de dialogue et d’échange avec les autres, sans dérive sectaire ou dilution du sens.

La politique est affaire de style et de méthode autant que d’idées. Notre philosophie de la vie nous rappelle à chaque instant que les fins sont aussi dans les moyens. Autrement dit, nous ne pouvons agir et porter un idéal sans penser nos modes d’intervention en pleine cohérence avec notre projet. Malheureusement, l’incohérence est devenue monnaie courante dans la vie politique française et c’est ce qui explique le relatif succès de l’UMP et les échecs respectifs du MoDem et du Parti socialiste lors de ces élections.

Car, s’il n’est pas toujours clairement exprimé, le projet politique de Sarkozy existe bel et bien et il est décryptable par bribes dans chacune des multiples décisions dont il inonde le pays. Ce projet, je l’affirme, est absurde et à contre-courant de la réalité du monde dans lequel nous vivons, mais il est néanmoins cohérent dans son absurdité jusque dans la manière dont le locataire de l’Elysée incarne aujourd’hui le pouvoir et l’hyperprésidentialisation du régime.

Dans son anti-sarkozysme caricatural, Bayrou a sacrifié les idéaux de sa famille politique en faisant du MoDem une "UMP en modèle réduit" et de lui-même une caricature du sarkozysme qu’il prétendait dénoncer. De son côté, le PS a gaspillé une diversité qui aurait pu faire sa richesse pour devenir un cartel électoral sans projet cohérent et toujours plus "offshore" vis-à-vis des aspirations de ceux qui l’ont historiquement construit et soutenu. Il ressemble à présent à une ancienne entreprise d’Etat ravalée au rang de grosse PME, dotée d’une armée de cadres désormais moins soucieuse de parler à ceux qui pourraient faire sa force créative que de se déchirer dans une compétition présidentielle qui, en l’état, demeure surréelle.

Alors, à la lancinante question du "qu’allons-nous faire", je réponds que nous allons continuer à briser la logique du "système propriétaire" qui domine notre vie politique nationale, tant au niveau global qu’au niveau local, tant par l’Europe qu’à l’occasion des élections régionales. Plus que jamais, nous allons promouvoir la notion de "logiciel libre" appliquée à la politique et à la société.

C’est la seule alternative sérieuse aux formes de pouvoirs démo-autocratiques qui prolifèrent, à gauche comme à droite, en France comme en Europe. Entendons-nous bien : nous n’avons pas prétention à devenir une force hégémonique à gauche ou ailleurs. Ce n’est pas notre culture et nous restons résolument hostiles aux mutations génétiques. Nous visons justement à déshabiller la vie politique de cette tentation hégémonique qui, tout comme l’idéologie productiviste, hante gauche et droite depuis des décennies.

Dans la politique, comme dans la nature, la biodiversité est une richesse et toute tentative de nous fondre dans une sorte de grand parti social-démocrate serait synonyme d’appauvrissement. Nous voulons essaimer nos façons de faire et de penser la politique auprès de nos concurrents et potentiels partenaires. Le résultat du 7 juin nous confère, je crois, un rôle de charnière dans la vie de ce pays, notamment entre une aspiration forte au renouvellement et à l’approfondissement des instruments de la démocratie et un impératif de reconstruction de la justice sociale et des mécanismes de régulation autour de l’impérieuse exigence de sauvegarde de l’environnement et de la planète.

Les forces politiques de ce pays n’ayant pas encore conduit la révolution copernicienne que les citoyens exigent d’elles, nous n’avons pas aujourd’hui d’autre issue cohérente que celle de notre autonomie politique. Pour nous, la notion d’autonomie n’est pas synonyme de fermeture ou de cavalier seul. Bien au contraire. Notre rassemblement est et restera ouvert en même temps qu’il continuera de développer ses racines pour faire foisonner son feuillage. Le défi est immense et à l’image du défi européen : c’est celui de parvenir à mettre en oeuvre conjointement une dynamique de l’élargissement et de l’approfondissement.

Dans un calendrier étroit, bien avant les élections régionales, nous avons deux rendez-vous majeurs avec ceux qui souhaiteraient devenir nos partenaires : un rendez-vous européen de la construction d’une large coalition visant à empêcher la reconduite de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne ; un rendez-vous écologiste de mobilisation internationale des citoyens, des associations et des formations politiques, pour que le sommet de Copenhague sur le changement climatique débouche véritablement sur des mesures permettant de préserver l’avenir de notre planète.

Nous voulons donner raison à Edgar Morin. Il ne s’agit pas simplement d’introduire de la politique dans l’écologie, mais de l’écologie dans la politique. Nous sommes en marche.

Daniel Cohn-Bendit est député européen. Il vient de publier Que faire ? (Hachette Littératures)

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