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Analyse

La nouvelle pensée insurrectionnelle. Par Nicolas Truong

LE MONDE | 07.07.09

mercredi 8 juillet 2009

Mis en vente en mars 2007 par les éditions La Fabrique et déjà vendu à plus de 27 000 exemplaires, L’insurrection qui vient (7 euros), écrit par le mystérieux "comité invisible", est en passe de devenir un véritable succès de librairie. Son audience doit également beaucoup à la complicité active de l’Etat qui a pris au sérieux cette invitation à "tout bloquer" et à se "constituer en communes" par une éventuelle "prise d’armes".

Considérée par la police comme une pièce à conviction contre les saboteurs présumés des caténaires de lignes TGV, L’insurrection qui vient est bien plus qu’un manuel de désobéissance civile juvénile. Loin du baratin de poseurs qu’ont dépeint certains commentateurs, l’ouvrage se présente comme le précis de décomposition, à la fois dangereux et lucide, d’une époque vide. Ce petit livre vert apparaît pour de nombreux lecteurs comme le manifeste insurrectionnel, le bréviaire révolutionnaire d’une certaine jeunesse désenchantée.

Pour ce "collectif imaginaire", un spectre hante la République française : celui des émeutes de novembre 2005, dont "l’incendie n’en finit plus de jeter son ombre sur toutes les consciences". Mais "l’inédit" de ces événements ne résiderait pas dans la confrontation entre le centre et la périphérie, la Cité et les cités, la police et les jeunes des quartiers.

La nouveauté, affirment les auteurs, consiste en l’absence totale de message, de leader, de revendication de la part des insurgés. Ainsi les émeutiers des banlieues ont-ils, selon eux, donné le "la" de toute nouvelle guérilla. Puisque "le présent est sans issue", inutile de chercher de vains compromis sociaux. Puisque la catastrophe "a déjà eu lieu", impossible de servir une écologie oecuménique qui fournit au capitalisme sa plus parfaite légitimation idéologique. Puisqu’il faut tout rendre spectaculaire, traçable et lisible, autant devenir "invisibles".

Ce renversement stratégique est un tournant politique. Car la plupart des mouvements alternatifs ont cherché à attirer l’attention des journaux, au risque de se transformer en trublions officialisés par les médias. C’est donc non seulement à toutes les bureaucraties syndicales et militantes, mais aussi aux coordinations "qui reproduisent autant d’Etats en miniature", que le "comité invisible" oppose son anonymat, sa dissolution permanente. C’est à toutes les gloires de la subversion subventionnée et autres enfants de la télé au moi surdimensionné que s’adresse cette fraction qui se présente comme une petite armée des ombres : "Voir la gueule de ceux qui sont quelqu’un dans cette société peut aider à comprendre la joie d’y être personne." Ainsi, n’être "socialement rien" constitue paradoxalement "la condition d’une liberté d’action maximale".

La soudaine médiatisation de Julien Coupat, considéré par la police et la justice comme le meneur présumé de ce "collectif imaginaire" et parfois mis en scène comme un décalque de Guy Debord (1931-1994), fondateur de l’Internationale situationniste, va sans doute altérer la stratégie du groupe. Il n’en demeure pas moins que le surgissement du tranchant des propos radicaux de Julien Coupat, sujet avec ses amis d’un acharnement juridico-policier, renvoie un certain gauchisme à son obsolescence. Ainsi "l’extrême gauche à la Besancenot" n’offrirait-elle aux yeux de Julien Coupat que "la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop" (Le Monde du 26 mai). Comme si, d’un coup, les enfants relookés de Trotski, les nostalgiques du Che ou les aficionados de Fidel Castro étaient renvoyés à leurs références non seulement autoritaires mais aussi contre-révolutionnaires.

Ce qui revient avec L’insurrection qui vient, essai corrosif pour lequel Eric Hazan, directeur des éditions La Fabrique, a été abusivement interrogé, c’est une critique sociale jusqu’alors réduite à sa dimension culturelle. De Guy Debord, l’une des principales sources d’inspiration du "comité invisible", on n’avait bien souvent retenu qu’une image, celle du chef de bande passé maître dans l’art du détournement des comics américains, destinée à alimenter les performances au sein des galeries d’art contemporain. Au point d’oublier que l’auteur de La Société du spectacle (1967) misait entre autres sur l’avènement de nouveaux conseils ouvriers, dans la lignée de ceux de Barcelone en 1936-1937 ou de Budapest en 1956.

La mouvance dont Julien Coupat est issu pourrait malgré tout brouiller les pistes de cet héritage qui, de la critique anti-industrielle de Jaime Semprun, fondateur des éditions de l’Encyclopédie des nuisances, à celle de la rationalité technicienne de l’écrivain Annie Le Brun, s’emploie à mener une critique radicale et cohérente du temps présent. Si ce "comité invisible" cherchait à reconduire l’opacité élective, la préciosité théorique, la rhétorique de l’excès et l’apologie d’actions violentes, particulièrement présentes dans les premiers textes de la revue Tiqqun (Le Monde daté 28-29 juin), qui en était une des branches, alors prendrait-il le risque d’ajouter à la désorientation générale.

Mais peut-être ne serait-ce pas sans déplaire à ce petit parti de la désertion subversive.

Nicolas Truong (Service Débats)

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