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Un témoignage. Par Frédéric Jésu

samedi 5 décembre 2009

Réveil ce matin à 6h45. Radio. Annonce de la mise en place à Nice d’un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans non accompagnés. Le thé au lait prend un goût bizarre.

A 8h, à la Gare du Nord, au niveau de la connexion entre les lignes 4 et 5 du métro et les lignes B et D du RER, en route vers le boulot, je reste rêveur au spectacle quotidien de policiers "faisant du chiffre" en interpellant et en "contrôlant l’identité" (nationale ?) de l’un des jeunes, généralement "basanés", qui passent à leur portée - et pas toujours, loin s’en faut, en enjambant le tourniquet. Ce matin, ils y mettent du zéle : tutoiement, fouille au corps, intimidations verbales et physiques immotivées et disproportionnées d’un gamin malingre et plus ou moins tamoul. Je m’arrête et j’observe, non sans nausée. Un malabar en uniforme me demande pourquoi je suis là à regarder. Je lui réponds en gros, mais poliment, que je ne comprends pas le sens de ce que je vois, ni les raisons de ces violences manifestes. Il me rétorque (en me tutoyant) qu’à cela ne tienne, il va me contrôler moi aussi. Je m’éloigne. Il me rattrape, me plaque dos contre un pilier et me confirme son intention en termes choisis. Je m’éloigne de nouveau (je dois recevoir en consultation à l’hôpital de Gonesse le jeune enfant, malade, d’une famille tamoule elle aussi, qui vit à 4 dans un garage non chauffé qu’elle sous-loue 700 euros par mois à Villiers-le-Bel, et je tiens à honorer ce rendez-vous). Le policier me rattrape, me saisit au collet, me plaque de nouveau face au pilier, appelle ses collègues et me passe les menottes. Aucun témoin ne réagis. Je suis bientôt tiré sur 200 mètres vers le commissariat de la Gare du Nord où m’est signifiée, en termes menaçants et méprisants, ma garde à vue légale de 24h au plus pour rébellion avec violence et délit de fuite (j’ai eu le temps, pendant qu’ils me conduisaient au commissariat, d’entendre les policiers préparer les termes de leur déposition, dont je prendrai connaissance avec stupéfaction). Fouille, remise de mes lacets de chaussure et tous autres objets présents sur mon corps et dans mes poches. Saisie de l’argent et du téléphone portable. Re-menottes. Un policier accepte de téléphoner à mon secrétariat pour que lui transmettre ma demande d’annuler mes RV de la matinée. Entrevue avec un officier de police judiciaire, embarrassé au vu de mon âge, qui me raconte sa vie, ses ascendances maghrébines, sa jeunesse à Montreuil, ses collègues incontrôlables et ses dilemnes déontologiques. Je repense à l’époque où, pendant mes études, je travaillais deux nuits par semaine comme infirmier aux urgences générales de l’hôpital de Montreuil ; ses collègues, que je voyais plusieurs fois chaque nuit, se comportaient autrement, selon tout du moins leur degré d’alcoolémie. Bref. L’officier de police judiciaire saisit le procureur. Re-re-menottage. Pendant 2 heures, en plein coeur de ce commissariat glauque et sans fenêtres, je vois ce qui se passe et j’entends ce qui se dit. Huit gamines de 10 à 12 ans sont en cellule juste à côté. Elles ont été interpellées pour vol à la tire dans le RER. Je vous raconterai à l’occasion le caractère tragique de ce qui passe avec elles. Finalement, le procureur décide de ne pas poursuivre et prononce un rappel à la loi. Pendant que je récupère mes lacets et le reste, j’apprends par le papier que me fais co-signer l’officier de police judiciaire que, si je commets une "autre infraction dans un délai de cinq ans", je serai poursuivi devant le tribunal. Il est midi. Je peux enfin prendre mon RER et rejoindre mon lieu de travail. Pendant ce temps, comme l’indique "Le Monde" de ce soir, plusieurs milliers de fonctionnaires de police manifestent dans la rue pour exprimer leur "ras-le-bol" face, notamment, à l’injonction de "faire du chiffre". Le citoyen que je suis en sait désormais un peu plus sur la question.

Frédéric Jésu, 75019 - Paris

Frédéric est médecin psychiatre ; il a 55 ans

1 Message

  • Un témoignage. Par Frédéric Jésu 8 décembre 2009 23:52, par david (psychologue)

    "ils sont fous ces romains !! " dirait la réssitance.
    Jacques Rancière disait ce soir dans l’émission "ce soir ou jamais" que l’état veut nous persuader que la France souffre et que .... "donc" ... il doit nous paraître normal et logique de faire appel à lui pour nous soigner de ce mal identitaire .... enfin ... édenté-taire.

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