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Les délits de la solidarité. Par le GISTI

mercredi 23 décembre 2009

Tandis que se manifestent de plus en plus clairement les conséquences souvent dramatiques, parfois cruelles, d’une politique d’immigration fondée sur la répression, a-t-on encore le droit de refuser la mise au ban de la société des étrangers en situation irrégulière, de venir en aide aux sans papiers, de contester, par la parole ou par les gestes, cette politique aveugle ?

Dans une lettre adressée à toutes les organisations signataires du communiqué de presse du 23 mars appelant à manifester contre le délit de solidarité, le ministre de l’Immigration Éric Besson écrit : « Toute personne, particulier, bénévole, association, qui s’est limitée à accueillir, accompagner, héberger des clandestins en situation de détresse, n’est donc pas concernée par ce délit. Et j’observe qu’en 65 années d’application de cette loi, personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ». Peu importe que le ministre soit mal informé ou qu’il mente délibérément : l’essentiel, c’est que ses déclarations péremptoires travestissent gravement la réalité.

Face à l’obstination ministérielle à nier l’évidence, le Gisti a commencé, dès le mois d’avril 2009, à dresser la liste des condamnations prononcées depuis 1986 contre des personnes ayant apporté une aide à des étrangers sans papiers, le plus souvent en les hébergeant. L’ambition du dossier que nous mettons aujourd’hui en ligne, et qui sera progressivement complété, va plus loin. Il s’agit d’envisager l’ensemble des « délits de la solidarité », c’est-à-dire l’ensemble des formes de répression visant ceux qui – par conviction, par générosité, par simple sentiment d’humanité… – refusent de céder aux injonctions du pouvoir et manifestent, sous une forme ou sous une autre, leur solidarité avec les sans papiers.

Au premier rang des textes utilisés, il y a d’abord, bien sûr, ceux qui incriminent spécifiquement l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers et punissent ses auteurs d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Contrairement aux affirmations péremptoires du ministre de l’immigration, cette disposition introduite dans la réglementation par le décret-loi de 1938 dans un climat particulièrement xénophobe, est utilisée aujourd’hui non pas seulement ni même principalement pour poursuivre les « commerçants » de l’immigration clandestine mais pour intimider des personnes qui côtoient les étrangers en situation irrégulière et qui choisissent simplement de leur rendre service au quotidien.

Mais les règles incriminant expressément l’aide apportée aux étrangers en situation irrégulière ne représentent qu’une partie de l’arsenal législatif employé pour dissuader et punir les diverses formes de soutien aux étrangers en situation irrégulière. S’y ajoute une série d’autres délits utilisés à l’encontre des « aidants » et plus largement de ceux qui s’opposent à la politique d’immigration française et européenne.

Des textes généraux sans rapport avec la législation sur l’immigration sont mobilisés pour incriminer les protestations émises à l’encontre des politiques migratoires et de leurs conséquences inhumaines. C’est ainsi que les délits d’outrage, d’injure et de diffamation sont utilisés pour défendre l’administration et la police contre les critiques dont leurs pratiques font l’objet : aujourd’hui, on ne saurait exprimer en des termes un peu virulents sa réprobation à l’endroit des rafles (ce simple mot fait déjà problème) et des expulsions orchestrées par les serviteurs de l’État sans craindre d’éventuelles poursuites. A fortiori si l’on s’aventure à établir quelque parallèle que ce soit entre la période actuelle et celle de la France de Vichy.

Le délit d’entrave à la circulation d’un aéronef figurant dans le code de l’aviation civile apporte également sa pierre à l’édifice répressif. En pratique, les passagers soucieux du sort réservé aux personnes ligotées et bâillonnées dans l’avion qui les conduit en vacances, les personnes outrées de la violence de certains embarquements et qui voudraient manifester leur opposition à de telles pratiques s’exposent également à des poursuites.

On constate aussi que les textes réprimant l’emploi d’un travailleur étranger dépourvu d’autorisation peuvent servir à inquiéter des individus qui, en toute bonne foi et loin des rapports de subordination institutionnalisés, ont accepté l’aide que leur apportait une personne sans papiers, et qui sont de ce fait soupçonnés de travail dissimulé. La lutte, d’ailleurs timorée, menée contre ceux qui exploitent les travailleurs étrangers s’accommode parfaitement de cette extension abusive de son domaine. Proposer ponctuellement à un ami de garder ses enfants doit-il être incriminé au motif que cet ami n’a pas le droit de séjourner en France ?

En réalité, la panoplie des textes disponibles pour prévenir et punir tant les actes que les paroles de soutien aux étrangers sans papiers est encore plus large et l’on a pu voir, ici ou là, l’aide incriminée encore sous divers prétextes. Par delà la diversité des fondements juridiques imaginés, l’ouverture des poursuites comme les pratiques plus sournoises de dissuasion procèdent de la même volonté politique : il s’agit de priver l’étranger en situation irrégulière en France de toute forme de soutien : amical, politique ou juridique mais aussi, au-delà, de signifier à la population en général et aux militants en particulier qu’on ne peut s’opposer impunément à la politique gouvernementale quelles que soient la détresse humaine et les horreurs qui lui sont inhérentes.

Alors que le droit international consacre notamment le droit pour chacun « de participer à des activités pacifiques pour lutter contre les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales », les incriminations pour « délits de solidarité » se multiplient aussi hors de France.

Le Gisti s’élève contre la banalisation et la généralisation de ces « délits de la solidarité ». Alors qu’au nom d’un objectif érigé en dogme – sous le nom de « maîtrise des flux migratoires » en France ou de « gestion intégrée des frontières extérieures » au niveau de l’Union européenne – des atteintes de plus en plus graves sont portées aux droits fondamentaux des migrants, ceux qui refusent d’endosser les morts, la misère et les humiliations quotidiennes que secrète immanquablement cette politique illusoire mais féroce de fermeture des frontières doivent pouvoir agir et s’exprimer librement.

Voir en ligne : GISTI

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