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Il neige. Par Allain Leprest

l’Humanité, 21 décembre 2009

dimanche 27 décembre 2009

Le chanteur vient de recevoir le grand prix Sacem des poètes 2009 et il sort un nouveau CD, Chez Leprest. Vol.2. En ami de longue date de notre journal, il revisite l’année 2009 au fil 
de quelques flocons.

A chaque année suffit sa peine et celle-ci l’a bien valu lanturlu. Et même ses peines on pourra dire lantirlire. 2009 sonne la clôture. Autant se défausser un peu quand on est comme moi fâché avec la chronologie pour en brosser le panorama. Je sais que je ne devrais pas dire cela en cette année précise où il est clair que l’Histoire avec un grand H est devenue pour le pouvoir en place un enjeu. Son acharnement à la tronquer, l’événementialiser, la vulgariser, la réduire à peau de chagrin, montre combien elle est pour lui un obstacle à sa légitimité, sa pérennité. Il y a la petite histoire d’entre Paris-Mâcon sur la banquette du train et la grande, celle qui relie les faits et les mouvements des hommes. La grande histoire des trains des déportations des migrations. Pauvre chanteur  ! Citoyen mais rêveur quand même. Un gosse qui meurt de faim toutes les cinq secondes, l’évasion d’un « Treiber » ou d’un « trader », les ventes d’armes, les piquouses du Tour du France, les mouvements d’argent  : il trouvera ça dégueulasse. Or, où tout passait comme un polar opaque, l’esprit logique s’écrira relevant chaque indice et chaque preuve  : « Bon sang mais c’est bien sûr  ! » Et nous y sommes… Le fric, le tout-fric, la jonquaille, les biffetons, ou les talbins comme les chante l’ami Sanseverino. Il ne vaut mieux pas que le chanteur se mette trop à « bouboutiser », surtout qu’il continue de « cocalaniser », de « marouboudeficelliser ».

Tient, il neige  ! Voyez, je commence à l’envers sur les pieds, sur les mains, je suis un saltimbanque. Il neigeait aussi au début de l’an écoulé. Mail à l’endroit, mail à l’hiver, gros zéro pour la planète. De Kaboul à Copenhague. Zéro à la queue leu leu pour les banquiers. Saltimbanque, je vous le disais d’emblée, hop  ! Tire groupé. Dans ce mot il y a « sale » et il y a « banque », pour ça peut-être que je pense à la neige, au blanchiment  : on en parle beaucoup en ce moment. On n’a guère entendu parler de relaxe à l’égard de militants syndicaux acculés à la résistance active. En tout cas, qu’on le sache depuis cette fin décembre, 70 000 euros devient une somme trop modique pour justifier des poursuites envers un justiciable. Le délit d’initié devient légal et qui fera la promesse au fisc de rapatrier ses lingots détournés vers des paradis fiscaux se verra exonéré d’amende. En attendant il neige et les flocons couvriront bientôt les cartons de cadeaux qui ça et là couvrants, toits d’infortune, joncheront porches, replis d’escalier, couloirs de métro. On distribue la soupe à l’entrée de Lachaise. Les sans-papiers tractent sans relâche près de mon kiosque à journaux. Pour eux Noël sera quand même là. Soit mauvais écho d’une vie ratée déchue parce que plus de boulot, cinquante balais et pas de Rolex, soit aurait pu mieux faire et on fera quand même, soit si tout ça c’était pour ça… En tout cas, maintenant pour un grand nombre la misère a deux vitesses. Ceux qui s’en tirent tout court et ceux qui s’en tirent une balle dans la tête, aux Télécom ou ailleurs.

Bien sûr tout n’est pas si noir, sous ces premiers tourbillons. Il y a de la combativité encore et toujours dans les rangs du potager et des plus jeunes aussi. Des sourires qui refleurissent sur des visages guéris, il y a des naissances et des renaissances. Pour autant devrions-nous à chaque inventaire nous contenter de ce qu’on nous présente comme un juste équilibre face à la rigueur que nous imposent les « temps qui courent ». La rigueur offerte en contrepoids obligatoire à la moindre réjouissance, à la moindre conquête. Des guérisons contre des suppressions de postes dans les hôpitaux publics, des naissances contre des fermetures de maternités, la prise de conscience pour tout ce qui touche à l’environnement en en excluant le mouvement social. Il neige et Soulages est à Beaubourg. J’aime Soulages et ses cheveux blancs. J’aime les peintres, les artistes têtus en général. Lorsque petit sa mère s’interrogeait devant la noirceur de ses dessins, il répondait  : « La neige. » Singulière cette approche. Inversé le fond, le support du « ce qui saute aux yeux ». Cela me fait penser à la disparition d’un chanteur et musicien black  : Bashung. Pourquoi black  ! Pour l’avoir vu et écouté deux fois sur la grande scène de l’Huma. Lumineux et sombre dans l’incantation. Vibrant, dansant, tout entier de l’intérieur, les mains nouées à la racine du micro, communiant. Élégant barde emmenant derrière sa houppelande une foule aux yeux mi-clos. Résistant sans ciller au mal sur le plateau de son Vercors.

Neige-t-il sur Gaza  ? Peu prolixes la plupart des gazettes au sujet de Gaza. Syllabe solaire et étouffante, colonne si maigre dans la presse à l’égal de cette bande de terre où sont confinés des millions d’humains en quête d’identité, de soins, de nourriture, de carte de travail. Et toujours à l’angle de ma rue, devant l’agence d’intérim, les sans-papiers dans le froid maintiennent le piquet et occupent. Des travailleurs. Ce sont eux et leurs parents qui ont contribué à façonner ce creuset où nous vivons ensemble et que le ministre Besson s’apprête à vider de sa substance-nation par le biais de réponses anonymes à un questionnaire truqué. Les rejetons des bourreaux de Manouchian et de Môquet serrent les coudes et se frottent les mains. Sangatte dans la foulée, des serruriers qui forcent des portes invisibles, des huissiers qui saisissent des balluchons. Des charters pour des destinations dévastées. Voilà le lustre que donne le sarkozysme à la République des sans-culottes. Heureusement l’exemple donné par les frangins antillais entre autres de la solidarité nous prouve que la fatalité n’a pas jeté son voile jusqu’en 2012.

Bulle spéculative, OPA américaine sur la grande boucle, cercle de jeu et roulette russe à la Madoff  : tout est rond et plus rien ne tourne, on licencie, on délocalise. Au club du Fouquet’s récemment labélisé confrérie de la Légion d’honneur, on a des petites idées. Certains de ses membres sont sur les rangs pour l’entrée légale des jeux en ligne. Rentabilisés le désespoir et la pauvreté. Il ne restait plus que cela  : des pavillons, des cartes de crédit, des tapis, des micro-ondes, à saisir dans les poches de ceux qui veulent rester à flot simplement ou qui céderont à l’appel du gain facile. Rage, dépression, suicides annoncés, tout retourne à la banque  !

Je ne sais pas vous, moi, avant d’abandonner mes illusions de rentier, j’aimais le Monopoly. On jetait nos deux dés et hop  ! Une liasse de biffetons en main on achetait un petit hôtel à Belleville, le tour suivant une baraque rue Saint-Honoré. Parfois, la chance nous portait à tirer une carte sur laquelle était écrit « la banque vous autorise un découvert de 10 000 francs ». On était teigneux à ce jeu mais c’était pour rire. Ah  ! Ce qu’on n’aurait pas aimé y jouer avec le petit prince Jean. À tous les coups il aurait privatisé les gares, l’eau et l’électricité, piqué toutes les cartes chance et demandé des stock-options sur toutes les mauvaises, saisi ce qu’il pouvait d’hôtels et de bicoques.

Pour ce Noël, dites à vos enfants de faire une croix sur le Mono-cosy.

Voir en ligne : L’Humanité

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