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Point de vue

Il faut défendre la liberté de la presse. Par Marc-Antoine Dilhac

LEMONDE.FR | 16.07.10

dimanche 1er août 2010

On doit se réjouir sans retenue des révélations et des analyses de la presse française dans ce que l’on appelle désormais "l’affaire Bettencourt-Woerth". Le gouvernement lui-même et les élus dans leur ensemble, soucieux de protéger la démocratie et les libertés individuelles, doivent également se féliciter que la France dispose d’une presse indépendante et vigoureuse. Peut-être certains élus et ministres de la République évoquant une "cabale" et même "des méthodes fascistes" n’ont-ils pas encore pris la mesure de l’importance d’une presse libre et sans complaisance en démocratique. Il suffira d’en expliquer les vertus pour qu’ils apportent un soutien inconditionnel à la liberté d’information et qu’ils renoncent à légiférer, avec de nobles intentions, n’en doutons pas, pour la limiter.

En effet, dans un régime démocratique où les citoyens sont destinés à exercer leur autonomie politique, la fonction essentielle de la presse consiste à leur donner les moyens de développer leur sens critique, d’évaluer leurs représentants et leurs administrateurs, et de former leur jugement politique. Il est par conséquent indispensable que la presse puisse fournir des informations pertinentes sans dissimuler des faits déplaisants, par prudence, par crainte ou par déférence à l’égard d’un pouvoir illimité.

Cette liberté d’informer est si essentielle à la démocratie qu’elle ne saurait être limitée sans mettre en danger les droits politiques de chaque citoyen. Comme l’écrivait Tocqueville, l’auteur de De la démocratie en Amérique : "Dans un pays ou règne ostensiblement le dogme de la souveraineté du peuple la censure n’est pas seulement un danger, mais encore une grande absurdité". Aussi faut-il avoir des raisons supérieures, impérieuses même, pour la contraindre légitimement.

La diffamation est-elle une de ces raisons ? A en croire monsieur Eric Raoult, député de Seine-Saint-Denis, "on peut tout accepter en démocratie, mais pas la diffamation". Cette déclaration est trop générale ; il faut la préciser. Si elle diffame une personne privée alléguant de manière erronée des comportements et des actes qui suscitent des jugements dégradants et portent atteinte à son honneur, la presse ne peut réclamer l’indulgence judiciaire. Divulguer de telles informations violerait le droit à avoir une vie privée, c’est-à-dire une vie qui n’est pas exposée au jugement, à la sanction ou à la vindicte populaires ; et ce droit est constitutif de la citoyenneté démocratique.

OBJECTIF DÉMOCRATIQUE

Toutefois, contrairement à ce que soutient monsieur Raoult, entre autres, ces mêmes principes ne peuvent être opposés à la liberté de la presse quand celle-ci enquête sur des faits de nature publique dont les auteurs sont des personnes publiques, c’est-à-dire des personnes dotées d’une charge politique, administrative ou judiciaire. Or, il arrive que, dans son désir de faire émerger le vrai, la presse divulgue des informations insuffisamment vérifiées, commette des erreurs, et mêle des faits incertains à des faits avérés. Si on la condamnait à chaque fois qu’elle se rend coupable d’erreurs de bonne foi, on ne produirait qu’un seul effet : la censure de la presse par son autocensure.

Cet argument fut défendu unanimement par les juges de la Cour suprême des Etats-Unis, en 1964, dans l’affaire "New York Times Co. v. Sullivan". Ils considérèrent qu’on ne pouvait condamner pour diffamation le New York Times qui était accusé par le commissaire Sullivan d’avoir publié des informations erronées sur la répression policière d’une manifestation en faveur des droits civiques à l’Université d’Alabama. Ce n’est pas tant le droit de faire des erreurs qu’il s’agissait de protéger, que celui de dévoiler les faits qui permissent aux citoyens d’avoir une connaissance adéquate des affaires publiques et de former un jugement politique sensé. Pour atteindre cet objectif démocratique, il est nécessaire que l’on tolère les éventuelles erreurs de la presse ainsi que ses excès.

On accuse communément la presse d’être trop puissante, mais la vérité est qu’elle ne l’est pas assez. Les personnes publiques, en particulier les membres du gouvernement, ont toute liberté pour rectifier des informations erronées ; elles ont un accès privilégié aux moyens d’information. De son côté, la presse ne doit faire aucun compromis avec la recherche des informations utiles aux citoyens, au risque de déplaire aux élus, administrateurs et ministres du peuple. La presse – il faut rompre avec cette idée – n’est pas un quatrième pouvoir, à côté des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire : elle est la servante libre de la démocratie.

Marc-Antoine Dilhac, professeur agrégé de philosophie, docteur en philosophie

Voir en ligne : Le Monde

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