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Paris-Texas, une proposition politique des mis en examen de Tarnac

LE MONDE | 25.02.11

dimanche 27 février 2011

« Printemps des peu­ples arabes », « révo­lu­tion en marche », « tran­si­tion démo­cra­ti­que », « fin de la dic­ta­ture ». Les gran­des machi­nes dis­cur­si­ves sont de sortie. Il n’en faut pas moins pour par­ve­nir à pré­sen­ter le ren­ver­se­ment des régi­mes pro-occi­den­taux du Maghreb comme de nou­vel­les vic­toi­res de l’Occident, et le triom­phe ines­péré de ses valeurs.

La fièvre révo­lu­tion­naire qui s’est récem­ment empa­rée des plus pru­dents éditorialistes témoi­gne d’abord de l’intense réac­tion immu­ni­taire à quoi l’événement accule le dis­cours domi­nant. On répond par un vio­lent accès d’orien­ta­lisme à la néces­sité de dis­po­ser, au plus vite, entre nous et les bou­le­ver­se­ments en cours, un solide cordon sani­taire. On s’émerveille de ces « révo­lu­tions » pour mieux esqui­ver les évidences qu’elles nous jet­tent au visage pour mieux dis­sou­dre le trou­ble qu’elles sus­ci­tent en nous.

Faut-il qu’elles soient pré­cieu­ses, les illu­sions qu’il s’agit d’ainsi pré­ser­ver, pour que l’on se répande par­tout en pareilles apo­lo­gies de l’insur­rec­tion, pour que l’on décerne la palme de la non-vio­lence à un mou­ve­ment qui a brûlé 60 % des com­mis­sa­riats égyptiens. Quelle heu­reuse sur­prise de sou­dain décou­vrir que les prin­ci­pa­les chaî­nes d’infor­ma­tion sont entre les mains des amis du peuple !

Or voilà : si les insur­gés de l’autre côté de la Méditerranée disent : « Avant, nous étions des morts-vivants. A pré­sent, nous nous sommes réveillés », cela signi­fie en retour que nous, qui ne nous insur­geons pas, nous sommes des morts-vivants, que nous dor­mons. S’ils disent : « Avant, nous vivions comme des bêtes, nous vivions dans la peur. A pré­sent, nous avons retrouvé confiance en nous, en notre force, en notre intel­li­gence », cela signi­fie que nous vivons comme des bêtes, nous qui sommes si évidemment gou­ver­nés par nos peurs.

Ceux qui pei­gnent aujourd’hui aux cou­leurs les plus lugu­bres l’impi­toya­ble dic­ta­ture de l’atroce Ben Ali ne le trou­vaient-ils pas hier encore si fré­quen­ta­ble ? Il faut donc qu’ils men­tent aujourd’hui, comme ils men­taient hier. Le tort de Michèle Alliot-Marie réside d’ailleurs là : avoir dévoilé en quel­ques phra­ses à l’Assemblée natio­nale que, der­rière tant de dis­ser­ta­tions d’écoliers sur la dif­fé­rence entre leurs dic­ta­tu­res et nos démo­cra­ties, se cache la conti­nuité poli­cière des régi­mes ; en quoi les uns sont certes plus experts et moins gros­siers que les autres.

On peut détailler ad nau­seam la bru­ta­lité de la répres­sion sous Ben Ali. Il n’en reste pas moins que les doc­tri­nes contre-insur­rec­tion­nel­les – l’art d’écraser les sou­lè­ve­ments – sont désor­mais la doc­trine offi­cielle des armées occi­den­ta­les, qu’il s’agisse de les appli­quer en ban­lieue ou dans les cen­tres-villes, en Afghanistan ou place Bellecour à Lyon. Le feuille­ton heb­do­ma­daire des petits men­son­ges et des misé­ra­bles com­bi­nes de Mme Alliot-Marie ne sau­rait effa­cer le véri­ta­ble scan­dale : avoir traité de « situa­tion sécu­ri­taire » une situa­tion révo­lu­tion­naire. Si nous n’étions pas occu­pés à tres­ser des cou­ron­nes de jasmin ou de lotus aux révol­tes du Maghreb, peut-être n’aurions-nous pas déjà oublié que Ben Ali, quatre jours avant de dis­pa­raî­tre dans les pou­bel­les de l’his­toire, avait parlé des émeutes de Sidi Bouzid comme d’« impar­don­na­bles actes ter­ro­ris­tes per­pé­trés par des voyous cagou­lés ». Ou que son suc­ces­seur a cru apai­ser la colère du peuple en annon­çant comme pre­mière mesure l’abro­ga­tion de « toutes les lois anti­dé­mo­cra­ti­ques », à com­men­cer par les lois anti­ter­ro­ris­tes.

Si nous refu­sons de tenir pour mira­cu­leux l’enchaî­ne­ment qui mène de l’immo­la­tion de Mohamed Bouazizi à la fuite de Ben Ali, c’est que nous refu­sons d’admet­tre comme nor­male, à l’inverse, l’indif­fé­rence feu­trée qu’a par­tout ren­contrée pen­dant tant d’années la per­sé­cu­tion de tant d’oppo­sants. Ce que nous vivons, nous et une cer­taine jeu­nesse poli­ti­sée, depuis trois ans, y est cer­tai­ne­ment pour quel­que chose. Dans les trois der­niè­res années, nous dénom­brons en France plus d’une ving­taine de cama­ra­des qui, toutes ten­dan­ces confon­dues, sont passés par la case prison, dans la plu­part des cas sous pré­texte d’anti­ter­ro­risme et pour des motifs déri­soi­res – déten­tion de fumi­gè­nes, intro­duc­tion de glu dans des dis­tri­bu­teurs de billets, ten­ta­tive ratée d’incen­die de voi­ture, col­lage d’affi­ches ou coup de pied.

Nous en sommes arri­vés en jan­vier au point où la magie du signa­le­ment sur le fichier des « anar­cho-auto­no­mes » a mené une jeune femme en prison – pour un tag. Cela se passe en France, et non en Russie, et non en Arabie saou­dite, et non en Chine.

Chaque mois désor­mais, nous appre­nons qu’un nou­veau cama­rade a été pré­levé en pleine rue, que l’on a intimé à telle amie, après bien d’autres, de deve­nir indic en échange de l’impu­nité ou d’un salaire ou de conser­ver son poste de pro­fes­seur, que telle connais­sance a, à son tour, bas­culé dans la dimen­sion paral­lèle où nous vivons désor­mais, avec ses cel­lu­les miteu­ses, ses petits juges pleins de haine ren­trée, de mau­vaise foi et de res­sen­ti­ment, avec ses insom­nies, ses inter­dic­tions de com­mu­ni­quer, ses flics deve­nus des inti­mes à force de vous épier. Et l’apa­thie qui vous gagne, l’apa­thie de ceux qui vivent « nor­ma­le­ment » et s’étonnent, l’apa­thie orga­ni­sée.

Car c’est une poli­ti­que euro­péenne. Les rafles régu­liè­res d’anar­chis­tes en Grèce ces der­niers temps le prou­vent. Aucun régime ne peut renon­cer au broyeur judi­ciaire, quand il s’agit de venir à bout de ce qui lui résiste. La culpa­bi­lité est une chose qui se pro­duit. Comme telle, c’est une ques­tion d’inves­tis­se­ment, finan­cier, per­son­nel. Si vous êtes prêt à y mettre des moyens hors normes, vous pouvez bien trans­for­mer une série de faux procès-ver­baux, de faux témoi­gna­ges et de manœu­vres de bar­bou­zes en dos­sier d’accu­sa­tion cré­di­ble.

Dans l’affaire dite de Tarnac, la récente recons­ti­tu­tion de la nuit des sabo­ta­ges, si long­temps récla­mée par la défense, en a admi­nis­tré le plus bel exem­ple. Ce fut un de ces moments d’apo­théose où éclate, jusque dans les détails les plus infi­mes, le carac­tère de machi­na­tion de toute vérité judi­ciaire. Ce jour-là, le juge Fragoli a su occulter avec art tout ce qui démon­tre l’impos­si­bi­lité de la ver­sion poli­cière. Il deve­nait subi­te­ment aveu­gle dès que l’indo­cile réa­lité contre­di­sait sa thèse. Il a même réussi à mettre les rédac­teurs du faux PV de fila­ture à l’abri de la contra­dic­tion, en les dis­pen­sant d’être là. Et cela était en effet super­flu, puis­que tout ce petit monde s’était déjà trans­porté sur les lieux, une semaine aupa­ra­vant, en privé et en douce.

A dire vrai, qu’il ait fallu contre­faire la recons­ti­tu­tion suffit à mon­trer que le procès-verbal lui-même était contre­fait. C’est sans doute cela qu’il a fallu abri­ter des regards en bou­clant la zone par des murs de gen­dar­mes appuyés de bri­ga­des cyno­phi­les, d’héli­co­ptè­res et de dizai­nes de brutes de la sous-direc­tion anti­ter­ro­riste.

A ce jour, il en aura coûté quel­ques mil­lions d’euros pour trans­for­mer en ins­truc­tion bien fice­lée des fan­tas­mes de flics. Il importe peu de savoir à qui, pour finir, on impu­tera les actes qui furent le pré­texte de notre arres­ta­tion. Quant à nous, nous plai­gnons d’ores et déjà le tri­bu­nal qui aura à faire passer pour du ter­ro­risme la pose de quel­ques inno­cents cro­chets, main­te­nant que blo­quer les flux est devenu le moyen d’action élémentaire d’un mou­ve­ment de masse contre la réforme des retrai­tes.

Le silence fri­leux des gou­ver­nants euro­péens sur les événements de Tunisie et d’Egypte dit assez l’angoisse qui les étreint. Le pou­voir tient donc à si peu. Un avion décolle et c’est tout un édifice de for­fai­ture qui tombe en miet­tes. Les portes des pri­sons s’ouvrent. La police s’évanouit. On honore ce qui hier encore était méprisé, et ce qui était l’objet de tous les hon­neurs est main­te­nant sujet à tous les sar­cas­mes. Tout pou­voir est assis sur ce gouf­fre. Ce qui nous appa­raît, à nous, comme démence sécu­ri­taire n’est que prag­ma­tisme poli­cier, anti­ter­ro­risme rai­sonné.

Du point de vue du ges­tion­naire de situa­tions sécu­ri­tai­res, l’ordre public n’aurait jamais été ébranlé, et Ben Ali serait encore tran­quille­ment pré­si­dent, si l’on avait réussi à neu­tra­li­ser à temps un cer­tain Mohamed Bouazizi.

C’est à l’évidence, dans les ban­lieues comme dans les mou­ve­ments de révolte, la chasse aux Bouazizi, aux fau­teurs d’insur­rec­tion poten­tiels qui est lancée, et c’est une course contre la montre ; car, de Ben Ali à Sarkozy, qui règne par la peur s’expose à la fureur.

Monsieur le pré­si­dent, il y a des ranchs à vendre au Texas, et votre avion vous attend sur la piste de Villacoublay.

Aria, Benjamin, Bertrand, Christophe, Elsa, Gabrielle, Julien, Manon, Matthieu et Yildune.

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