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Education : du courage !

Libération : mercredi 13 décembre 2006

mercredi 13 décembre 2006, par Pierre FRACKOWIAK

Le débat ouvert, mercredi dernier, sur l’éducation, dans les pages Rebonds se poursuit avec cette contribution de Pierre Frackowiak, inspecteur de l’Education nationale. Frackowiak, syndiqué au SI-EN USNA, a récemment défrayé la chronique lorsque le ministre Gilles de Robien l’a menacé de sanctions disciplinaires, pour avoir pris position contre le discours du ministre sur l’apprentissage de la lecture (le « tout b.a.-ba »). Le ministre a par la suite abandonné la procédure Gilles de Robien a affirmé, avec l’assurance qu’on lui connaît, qu’aucun ministre, de gauche ou de droite, ne remettrait en cause, au lendemain des élections, les décisions qu’il a prises. Il évoquait sans doute le b.a.-ba, la grammaire (pour laquelle les décisions étaient prises et annoncées avant la publication du rapport Bentolila, qui n’a été commandé que pour les justifier) et probablement, dans la continuité et la cohérence de son action, les projets relatifs au calcul... Pas de réaction à gauche.

De même, les campagnes menées contre les « pédagogistes », contre ceux qui ont tenté depuis plus de 30 ans de transformer l’école pour lui permettre de répondre aux enjeux de la société du XXIe siècle n’ont pas eu d’écho dans les prises de position officielles des responsables. Mieux, Jean-Paul Brighelli, penseur et héraut des « antipédagogistes », produit et auteur de la Fabrique du crétin, peut se vanter d’être ami avec des responsables politiques de gauche de haut niveau, sans le moindre démenti. On a voulu convaincre une opinion mal informée sur ces questions, que tout ce qui se fait à l’école aujourd’hui est mauvais, que les enseignants du premier degré sont coupables, qu’avant c’était mieux, qu’il faut revenir à cet âge d’or de l’école qui n’a pourtant jamais existé et dont la faiblesse des performances au regard des évolutions et des besoins avait justifié un vaste effort de rénovation pédagogique du début des années 70, jusqu’en 2002. On joue sur les cordes sensibles et sur la nostalgie. Pas ou peu de réaction sur ces sujets. On débat de la carte scolaire, de la présence d’agents de sécurité, de la note de conduite... Mais on évite ces questions fondamentales.

Gilles de Robien, pour cette fois, pourrait donc avoir raison ! Sur la polémique récente, à propos du b.a.-ba, aucun des candidats à la candidature du PS ne s’est exprimé ; au point que de nombreux militants se sont demandé s’il n’y avait pas eu un accord secret entre eux pour éviter le débat. Impressionné par les sondages qui font la part belle à la nostalgie et à l’irrationnel, on risque d’écarter la question d’un revers de main, considérant qu’il ne s’agit que de vulgaires problèmes de méthodes, que toutes se valent, etc. On ferait ainsi complètement l’impasse sur le fait qu’en privilégiant la mécanique comme préalable, au détriment du sens, en accréditant l’idée que les méthodes anciennes auraient fait leurs preuves, on se mentirait à soi-même, on sacrifierait la place de l’intelligence et de son développement dans l’apprentissage de la lecture, comme dans tous les apprentissages, l’importance de la fonction émancipatrice de l’école. L’apprentissage mécanique, avec « papa lave la salade », sans majuscule et sans point, ne rend pas intelligent. Il faut pour le moins que ce soit maman (qui) lave la salade, car dans maman, il y a un « a » qui ne se lit pas « a » et qui permet de comparer, de rechercher, d’avoir une activité mentale qui ne soit pas que de la mécanique et du dressage.

Le retour à la grammaire de grand-mère, on frise parfois la complaisance. Il repose exactement sur les mêmes fondements que le b.a.-ba, participe à la destruction des programmes de 2002. Ceux-ci n’étaient pas parfaits, mais ils avaient obtenu un large consensus et commençaient seulement à se mettre en place, car il faut du temps pour faire évoluer des pratiques pédagogiques. On sait que l’on peut parfaitement être nul en grammaire et excellent en expression orale et écrite, que l’idée de progression du « simple » au « complexe », inlassablement citée, est stupide, car le « simple » scolaire est une construction intellectuelle de l’adulte, donc éminemment complexe. On sait, plus généralement, que l’on ne résoudra jamais les problèmes d’aujourd’hui et demain avec des solutions d’avant-hier... Rien n’y fait. 80 % des parents sont d’accord avec le retour à l’école de grand-papa, même quand ils en ont été victimes. Donc... prudence ! D’autres questions de fond ne sont pas non plus vraiment traitées à gauche : le problème du collège qui souffre toujours de l’erreur historique d’en avoir fait le « petit lycée » plutôt qu’une partie de l’école fondamentale de 3 à 16 ans ; le problème des pratiques pédagogiques toujours occulté par le développement du cercle macabre « évaluation remédiation », qui ne remet jamais en cause ce qui se passe réellement dans la classe en amont ; le problème des contenus et du sens des programmes scolaires toujours massivement orientés par la sédimentation de connaissances sans se préoccuper du développement de l’intelligence, de l’esprit d’initiative, de la stratégie, de l’apprentissage de la responsabilité et du vivre ensemble ; le problème des missions des profs, avant celle de leurs horaires, de la continuité et de la transversalité des enseignements...

L’idée que, compte tenu des sondages, la gauche ne reviendrait pas sur les décisions de Gilles de Robien si elle retrouvait le pouvoir est angoissante. Elle serait l’expression d’une sorte de renoncement, à l’opposé du progrès et de l’espoir.

Dans le même temps, on constate un incroyable décalage entre les positions actuelles du PS et les réflexions et propositions des syndicats progressistes, des mouvements d’éducation populaire, des mouvements pédagogiques, des parents d’élèves de la FCPE, des chercheurs en sciences de l’éducation, autant de gens dont une partie des voix a été perdue par la gauche en 2002.

D’une certaine manière, Gilles de Robien fait preuve, lui, de courage politique. Il veut le retour à l’école de grand-père. Tout le discours est fondé sur le mot « retour », sur la mythification du passé, sur le conservatisme. Il y parvient, sans grande réaction de la gauche, hors les questions sempiternelles de moyens.

Nombreux sont les militants politiques, les syndicalistes, les acteurs des mouvements progressistes, les promoteurs d’une école à la hauteur des enjeux d’une société démocratique, moderne, généreuse, qui attendent l’expression d’un réel courage politique de gauche.

Voir en ligne : Libération

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