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Hulot ou l’écologie dévoyée. Par Yann Wehrling, porte-parole national des Verts

LE MONDE | 08.01.07 | 14h14

mercredi 10 janvier 2007

Cette question va très certainement te surprendre..., mais à quelques jours de l’annonce de ta décision, je n’arrive pas à enlever de mon esprit quelques pesantes questions. C’est parce que je crois en la sincérité de ton engagement que je veux t’interpeller publiquement. Je veux ici attirer ton attention sur les effets contre-productifs de ton action envers la cause qui nous est commune, l’écologie. De nombreux militants écolos, comme moi, s’interrogent. Peu à peu, tu as construit une démarche qui, de prime abord, ne peut que nous donner envie de t’apporter notre plus franc soutien. Je l’ai fait en t’invitant à nos journées d’été. Dominique Voynet l’a fait en signant le pacte écologique.

Mais, à ce stade de ta démarche, nous constatons avec inquiétude que tout le microcosme politique et entrepreneurial parisien est d’accord avec toi. Or beaucoup de ces nouveaux convertis qui s’engagent aujourd’hui en faveur de ton pacte sont les mêmes qui ont saccagé notre planète pendant des années et continuent de le faire.

Regardons autour de nous : si la sincérité de ces engagements était réelle de la part de tous ces décideurs qui façonnent notre pays depuis tant d’années, nous devrions être dans le pays le plus écologiste de la planète !

Tu énonces avec une force sans précédent les problèmes et tu émets des propositions que René Dumont, un des pères fondateurs de l’écologie, révélait il y a trente ans. A la différence près que je ne t’ai encore jamais entendu avancer un chiffrage, un échéancier... ou pointer du doigt un responsable des problèmes environnementaux que nous subissons aujourd’hui.

Et c’est vrai que tu es à l’abri des poursuites et des procès que, comme de nombreux militants, j’essuie de la part des intérêts que je gêne. Qui déranges-tu en réalité ? Ceux qui devraient être menacés par ta démarche ? Non, car, de toute évidence, tu finis, peut-être inconsciemment, par atténuer l’action de bien des associations et des militants et élus Verts. Le problème, c’est que tu es devenu le représentant d’une écologie acceptable pour les pollueurs et même rentable pour leurs régies publicitaires !

Ton discours est "Nous sommes tous responsables...". Tu mets tout le monde sur le même plan. Ne crois-tu pas que tu dilues les responsabilités au point de faire disparaître dans un écran de fumée les vrais responsables ? Or, si nous sommes, nous les Verts, si souvent poursuivis, censurés, c’est bien parce que nous avons une démarche presque inverse de la tienne, plus politique, moins médiatique. Nous disons que tout le monde n’est pas responsable au même degré et que l’incantation de l’appel à la responsabilité ne suffit pas. Il faut aussi dénoncer ceux qui font le plus de dégâts et bloquent les choses, par intérêts corporatistes et financiers.

Ce n’est pas vrai que Fabienne Keller, sénatrice-maire de Strasbourg, est aussi compétente, comme futur "vice-premier ministre de l’écologie", que Dominique Voynet. Fabienne Keller s’est acharnée au cours de son mandat à réintroduire la voiture à Strasbourg. Dominique Voynet a créé la Journée sans voitures.

Il est faux de dire que le problème de l’eau procède autant de la responsabilité de M. Tout-le-Monde que de celle de la FNSEA. Tu ne cites jamais cette dernière dans ton livre. Pourtant, grâce à Jacques Chirac, ce lobby agricole a trouvé un nouveau moyen de subventionner les grands céréaliers avec les biocarburants, au détriment du développement des alternatives à la voiture, des nouveaux modes d’agriculture moins polluants et moins consommateurs en eau.

L’Oréal, qui siège dans le conseil d’administration de ta fondation, commercialise des produits dont près de quarante d’entre eux sont cités dans le guide Cosmétox publié par Greenpeace. Ce sont ces mêmes industriels de la chimie qui ont mené un lobbying sans précédent contre le règlement européen Reach sur les produits chimiques. Le Parlement européen vient de voter un règlement "light", contre l’avis du groupe des Verts. Comme nous, tu prônes le réaménagement des villes en faveur des cyclistes et des piétons. Alors, quand nous aideras-tu en nous soutenant à Paris dans ce que nous faisons pour réduire la place de la voiture ?

Comment peux-tu croire et donner à croire un seul instant que ce que l’UMP a fait à Paris et continue de faire à l’échelle de la France serait différent dans un an ? Crois-tu sincèrement que Nicolas Sarkozy, qui vient de signer ton pacte, va, dans les mois qui viennent, refuser clairement de construire de nouvelles autoroutes, dénoncer la politique agricole commune et faire de la peine aux industriels du Medef et à son frère Guillaume ?

Feras-tu la différence au second tour ? Est-il envisageable pour toi d’appeler à voter pour ce ministre de l’intérieur, numéro deux d’un gouvernement dont les politiques décidées au cours de cette mandature vont à l’encontre du climat et de la planète ?

En ménageant ainsi les "criminels de l’environnement", sans jamais les dénoncer explicitement, en ne soutenant pas clairement et de toutes tes forces ceux qui se battent pour rendre justice sur ce terrain - les Verts -, n’as-tu pas peur de stériliser le terrain de nos luttes ? En occupant l’espace médiatique sur l’écologie sans jamais prendre parti, je crains que tu ne gèles en fait le débat sur l’écologie. Plaire à tout le monde, c’est ne gêner personne et laisser les coudées franches aux puissants.

Si je t’ai invité à nous rejoindre, si Dominique t’a dit que tu "étais des nôtres", ce n’était pas pour te faire plaisir ou tenter une plate opération de récupération, c’était un appel à ce que tu fasses un choix. Convaincre les décideurs, évidemment, oui. Mais que crois-tu que nous fassions depuis vingt ans ? Qu’as-tu concrètement réussi en devenant l’homme qui murmure à l’oreille de Jacques Chirac ? Tu as obtenu de beaux discours... tu le reconnais toi-même. D’ailleurs, en menaçant de ta candidature, tu as bien compris ce que nous avons compris il y a trente ans quand l’écologie est entrée dans le champ politique : c’est le rapport de force politique qui compte.

Maintenant, tu dois aller au bout de ta logique : soit tu es du côté de l’"écologie-alibi", celle qui est indulgente avec les pollueurs et leurs complices ; soit tu t’engages dans la politique "pour de vrai", dans la durée, avec les gens qui se battent depuis des années sur le terrain, avec des militants... bref, avec une force politique. Cette force, tu le sais, c’est les Verts. Car, en réalité, sans écologistes à l’Assemblée nationale et au gouvernement, l’année prochaine, personne, pas même toi, qui ne veut être ni dans l’une ni dans l’autre, ne sera garant de la mise en oeuvre de la mutation écologique de notre société que toi et nous voulons.

Tu me disais que ta démarche finirait par nous être utile. Mais si tu continues à ne pas dénoncer les responsables, à rester vague sur les échéances des réformes, sur les faits, sur les noms de ceux qui peuvent changer les choses, alors il y a lieu de douter de l’utilité de ton action. Car si celle-ci devait aboutir à une présence nulle ou faible de Verts à l’Assemblée nationale et au gouvernement, dans la gauche, l’année prochaine, alors c’est toi qui aurais des comptes à rendre à la planète. Nous t’attendons.

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