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Les devoirs à la maison : une question pédagogique, sociale et politique

lundi 16 juillet 2007, par Sylvain GRANDSERRE

C’est devenu comme un mauvais réflexe, quelque part entre l’aveu d’impuissance et le tic professionnel... Il s’agit de ce que dit trop souvent, par le biais des livrets scolaires et autres bulletins de notes, notre institution à ses élèves les plus en difficulté. "Manque de travail personnel, devoirs non faits, travaux non rendus, leçons non sues, révisions insuffisantes, définitions mal apprises..." Même si les remarques blessantes sont aujourd’hui condamnées, cette litanie prend la forme d’une lapalissade : les élèves les plus faibles n’apprennent pas bien... chez eux ! Mais n’est-ce pas notamment pour cela que l’école publique a été inventée, rendue obligatoire et gratuite ? Pourtant, cette domestication du travail scolaire conserve toutes les apparences de l’exigence, affublant même des habits de l’excellence les professeurs qui y ont le plus régulièrement recours. Mais elle est aussi révélatrice de conceptions fallacieuses.

La première est d’ordre pédagogique. L’école serait le lieu officiel de l’émission de la connaissance, chaque élève, auditeur forcé, ayant ensuite la responsabilité d’en faire la meilleure rétention possible. Malheureusement, les têtes de bois sont déjà bien pleines ! De plus, apprendre c’est surtout mettre en relation, changer de représentation, mieux s’imaginer une conception et non cumuler les unes après les autres des leçons marquées d’une croix blanche pour orner le petit cimetière de nos curiosités. L’idée selon laquelle un déclic magique s’opérerait au moment où l’enfant révise sur la table de la salle à manger avec la télévision en fond sonore relève du pur fantasme. Pourquoi diable se mettrait-il soudain à comprendre seul ce que l’on n’a pas pu ou su lui faire saisir en classe ? D’ailleurs, il faut s’être assis à côté d’un élève qui n’y arrive pas pour mesurer la complexité souterraine d’un apprentissage. Ainsi, les professeurs qui participent à l’aide aux devoirs dans d’autres matières que la leur trouvent finalement bien exigeants leurs autres collègues. C’est en prenant lui-même en charge la révision préparatoire à ses évaluations que le professeur en mesure mieux le niveau d’attente.

Ensuite, il faut plus que jamais dénoncer cette Ecole de la méritocratie dans laquelle chaque individu aurait, selon la loi du plus fort, les mêmes chances que son concurrent direct (on n’ose même plus l’appeler "camarade"). Pourtant, tout renvoi d’un travail scolaire vers la sphère privée prend le risque d’une discrimination. Attention, il ne s’agit pas de rendre étanche la frontière entre école et maison, ni d’empêcher une recherche, une révision ou une mémorisation, mais de s’interdire de faire porter intégralement le travail d’apprentissage et l’éventuelle responsabilité de son échec sur des parents dont la situation sociale critique peut attester de difficultés scolaires passées. Exiger des élèves qu’ils s’organisent est une chose, le leur apprendre et ne pas en faire un critère de sélection en est une autre.

De plus, il y a une dimension politique liée à cette question. Comment sont traités les plus faibles ? Quelle est leur prise en compte ? Qu’est-ce qui atteste que l’on a le souci de leur réussite ? Et pour aller encore plus loin, est-ce bien à l’institution scolaire de régenter l’organisation des fins de journée dans la famille ? Car quiconque s’essaie à obéir à l’injonction des devoirs à la maison mesure rapidement à quel point elle est incompatible avec une activité sportive ou culturelle ou simplement avec un temps libre pourtant bien mérité. Car on l’oublie trop souvent : dès la sixième, il est fréquent qu’un élève passe plus de 35 heures par semaine dans son établissement... avant de passer aux heures supplémentaires chaque soir à son bureau.

Enfin, cette tentation de faire effectuer à la maison les apprentissages de la classe pose la question de la responsabilité. Qui doit venir en aide aux élèves en difficulté ? Qui en a en principe la compétence ? Dans quels lieux, sur quels temps ? Certes, on peut envisager des phases de pédagogie différenciée pendant la classe, des séances où sont abordées en petits groupes et si possible autrement les notions qui posent problème. Le secteur primaire connaît même ici ou là des RASED, réseau d’aide et de soutien aux élèves en difficulté, trop souvent incomplets où fonctionnant avec des personnels qui n’ont pas toujours les qualifications requises. Mais ensuite ? Car le paradoxe est là : plus un élève avance dans sa scolarité, plus ce qu’il étudie est difficile et moins il peut recevoir d’aide de la maison ! Tant que l’enfant est au primaire, on peut raisonnablement penser que la majorité des parents peut venir en aide sans obstacle notionnel. Mais ensuite, ça se corse ! A l’heure où l’on nous rebat les oreilles avec une prétendue baisse généralisée du niveau des jeunes, on peut constater au contraire l’extrême difficulté qu’ont les familles populaires à aider leurs propres enfants. Bref, plus c’est compliqué, moins il est possible et prévu d’être aidé ! Et à voir à quelle vitesse décrochent certains élèves entrés au secondaire, on ne peut qu’essayer d’envisager les choses autrement.

C’est en partant de ce constat qu’il a pu être dit, et parfois mal interprété, que l’école doit être son propre recours. Non pour qu’elle se débrouille toute seule quand on l’abandonne à la marchandisation mais bien au contraire pour qu’elle offre dans son enceinte, sur son propre temps, avec des moyens justement adaptés des solutions aux problèmes des élèves. C’est tout de même mieux que de s’en remettre à d’hypothétiques interventions de parents jouant aux professeurs ou à des officines privées qui surfent sur l’épaisse vague d’inquiétude actuelle. On doit dès lors envisager autrement l’organisation scolaire - dont les emplois du temps des élèves et des adultes - pour y intégrer des périodes de remédiation, de rencontre avec des professeurs, personnages à la fois références, ressources et soutiens.

La question n’a rien de simple puisqu’il faut absolument que, dans le même temps, chaque parent puisse suivre et s’intéresser à la scolarité, droit que rien n’autorise à lui confisquer, au contraire ! Même en cas d’interdiction des devoirs - ce qui est de toute façon déjà le cas depuis 50 ans au primaire ! - nul ne pourra empêcher les stratégies familiales d’opérer, qui en donnant du travail supplémentaire, qui en inscrivant sa progéniture à des cours particuliers pour pallier ses carences… ou augmenter ses performances. De même, faire quelque chose de nouveau à l’école c’est souvent renoncer à une autre. Mais c’est en affirmant ses choix et ses priorités que notre système scolaire témoignera de son souci de démocratie, passant d’une école pour tous à une école de tous loin des déterminismes sociaux, culturels ou prétendument génétiques.

Voir en ligne : Tiré du site de Philippe Meirieu (pdf)

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