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Témoignage d’un ancien élève

mercredi 12 septembre 2007

Retransmis par Muriel, Présidente de l’ICEM :

Je viens de voir sur Le Monde que les enseignants Freinet s’étaient réunis à la fin de mois d’août et leur nombre et leur motivation témoignaient de leur engagement dans ce type d’enseignement.

J’en suis enthousiasmé ! Il est vraisemblable qu’il y a eu auparavant de telles réunions, mais depuis que je suis à la retraite, je suis peut-être plus attentif aux titres des journaux !

Je me permets de vous écrire, parce que j’ai fait partie de la première année de mise en place de la pédagogie Freinet au Lycée Victor Hugo à Besançon en 1945 et que nous avons gardé un souvenir particulièrement vivace et enthousiaste de nos Classes Nouvelles comme il était d’usage de les appeler, et ce, pas seulement parce que nous avons l’âge à rendre heureux les parcours de jeunesse, car dès la fin de notre scolarité secondaire nous évoquions avec nostalgie les jours heureux que nous avions passés. Et dernièrement un de mes copains, retrouvé après bien des années et revenu passer sa retraite à Besançon, me dit en passant devant les fenêtres de nos classes "Tu te rappelles, nos classes étaient là". Bien sûr que je m’en rappelais. Nous avons été "Classes Nouvelles" pendant quatre ans, de la sixième à la troisième.

Ce qui nous a marqué spécifiquement, c’est l’ambiance chaleureuse de la classe, et les sorties, chaque quinzaine. Une fois visite d’usine, de fabrique de vêtements, les ateliers nous paraissaient grands et nombreuses les jeunes filles et dames qui y travaillaient ; la fabrique de montres Lip, des blouses blanches penchés patiemment sur leurs établis ; une maison à succursales multiples, l’odeur des sacs de jute gorgés de légumes secs ; l’imprimerie du journal Le Comtois, politiquement un peu plus à gauche que La République (ils ont disparu depuis longtemps…), et on sortait avec un plomb où était inscrit notre nom ; la gare SNCF avec le poste d’aiguillage perché en haut d’une bâtisse, les pétards pour les trains qui s’aventuraient sur une voie interdite ; le tramway avec ses réserves de sable sous les banquettes de bois, que l’on égrenait les jours d’hiver pour que le tram monte en haut des faubourgs sans patiner, le machiniste qui nous a demandé de payer le retour une fois arrivés au terminus et on ne nous avait donné de l’argent que pour un aller… Il fallait rendre un compte rendu de nos visites dans la semaine qui suivait.

L’autre fois des sorties de sciences nat avec un vieux professeur, col celluloïd, chapeau vissé sur la tête, qui connaissait le nom de toutes les fleurs, les plantes, les insectes que nous rencontrions, qui plus tard nous emmena dans les carrières de calcaire ou les marnières, chercher les ammonites, les bélemnites, térébratules, les gryphées arquées (je suis pas du tout géologue…), ce qui serait certes aujourd’hui probablement interdit.

Et puis nous faisions aussi de la menuiserie, ce qui n’avait jamais été le cas au lycée jusqu’alors, si mes souvenirs sont bons et avons créé notre porte-manteau et d’autres petits objets, et une "œuvre" collective : une ferme comtoise (approx 1 x 1 mètre) chacun à notre niveau, nous participions à son édification (charpente etc…). Le plus dur avait été la confection d’une spatule pour faire de la sculpture. Nous étions allés sur la colline de la Chapelle des Buis couper de gros rameaux de buis, et nous devions le travailler pour faire une extrémité pointue l’autre plate : le bois était non seulement dur à travailler mais je n’arrivais pas à le polir, des fibres sans cesse (le bois n’était pas sec). L’année suivante on nous a appris à travailler le métal. Nous étions considérés par les camarades des autres classes un peu comme des fainéants du fait du temps consacré à ces activités. Mais justement ces activités nous ont ouvert l’esprit, nous étions curieux de tout, nous posions des questions sur tout.

Pour la fin de l’année, nous préparions la représentation d’une pièce de théâtre, ce qui ne se faisait pas dans les autres classes. En sixième, c’était Aucassin et Nicolette, scénario écrit par nous-mêmes d’après la chantefable du XIIIe siècle, versification des chants id (avec l’aide du professeur principal évidemment) musique écrite par notre prof de musique, les chants devant être accompagnés au piano par l’un d’entre nous, les décors étant réalisés lors des travaux de menuiserie … et Nicolette et une ou deux autres personnages étaient des filles de Sixième Nouvelle du lycée de filles, le Lycée Pasteur, quelques cœurs furent en émoi…

Je ne sais pas sur quelles bases le "recrutement" de cette première classe Sixième Nouvelle a été réalisé, mais je sais que le proviseur avait demandé à mon père de bien vouloir m’y inscrire, parce que j’étais un bon élève et qu’il voulait que cette expérience réussisse. En réalité la classe était constituée d’élèves de niveau aussi divers que celui des autres classes. Des parents aussi de conditions sociales également variées.

Maintenant que nous avons le recul d’une vie, on ne peut pas dire que nous avons été une pépinière de gens qui ont "réussi" au sens qui ont eu des situations remarquables. Je crois que le pourcentage doit être équivalent à celui d’autres classes. Mais je crois fermement que l’ouverture d’esprit qui nous a été donné nous a permis de mieux réussir notre vie, de faire en sorte que chacun d’entre nous a pu effectuer un travail à la pleine mesure de ses capacités.

La Sixième Nouvelle comportait 25 élèves répartis en cinq équipes de cinq élèves avec un chef d’équipe (pour une compétition ? ça ne ressemble pas à Freinet). Elle avait trois professeurs principaux, parce qu’il fallait le plus d’homogénéité parmi les enseignants, nous avait-on dit. Le professeur de français-latin enseignait aussi l’histoire et la géographie, le professeur de sciences nat les mathématiques, enfin le professeur d’anglais et puis quatre autres enseignants : le professeur de musique, de dessin et de travaux manuels, et de gymnastique (moniteur). Ce système a été adopté durant la sixième et la cinquième, mais un prof de sciences nat pour les maths, ce n’était pas l’idéal…

La classe ne devait apprendre qu’une même langue étrangère (homogénéité…). On fit demander avis aux parents, puis nous avons voté (on votait souvent, nouveau à l’époque…) : l’anglais, car nous sentions bien que ce serait la langue la plus courante, mais ce n’était pas évident car dans les régions de l’Est, l’allemand était souvent choisi. Durant nos quatre années (de la sixième à la troisième) nous n’avons appris que l’anglais et nous en parlions récemment avec quelques-uns, nous avons regretté de ne pas avoir appris une deuxième langue, par conséquent l’allemand (ou avoir de bonnes notions de base).

Une autre caractéristique : nous ne devions pas apprendre par cœur les leçons. Nous devions comprendre et ainsi retenir. Personnellement et je ne dois pas être le seul, j’ai toujours mis en pratique (avec succès) ce conseil, mais si on le suivait à la lettre pour le latin…

Cette lettre est bien longue et veuillez m’en excuser. Mais quand j’ai lu l’article du Monde, quand j’ai lu qu’il y avait des enseignants enthousiastes, heureux et qui ne ménageaient pas leur peine pour enseigner "Freinet" (je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de tels professeurs dans l’enseignement traditionnel), je veux vous dire "Continuer…" les anciens élèves vous sont reconnaissants de votre engagement, vous leur avez ouvert de multiples horizons, vous avez aiguisé leur curiosité dans tous les domaines, vous leur avez donné le goût de travailler ensemble, ils se souviennent de vous avec reconnaissance.

Y. Michel-Briand, 73 ans

En consultant votre site (fort bien conçu, et très documenté) pour vous faire parvenir ce message, je me demande quel intérêt ces réflexions peuvent-elles avoir pour vous… tant pis il est écrit et je vous l’envoie !

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