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Journal d'école
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2 novembre 2007

A l'école, "nos" ancêtres sont toujours les Gaulois

Les enseignants d’histoire-géographie, soucieux de donner corps, à travers leur pratique quotidienne, aux principes du socle commun de connaissances et de compétences, risquent fort de devoir se livrer à de douloureuses contorsions pour faire concorder ces principes avec les programmes officiels. Après tout, pour qui sait lire, le socle commun offre en théorie de quoi faire bouger une discipline reconnue comme conservatrice, peu encline à évoluer, tout spécialement lorsqu’il s’agit de prendre en considération l’intérêt de l’élève. Ainsi, aurait-on pu se réjouir de voir que, pour le législateur, « la spécificité [du socle] réside dans la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du point de vue de l’élève et en construisant des ponts indispensables entre les disciplines et les programmes ». L’élève au centre, en quelque sorte ?  Le socle s’offre même le luxe de regretter l’attention insuffisante manifestée par l’institution dans les domaines de «l’autonomie et de l’initiative des élèves ». Pour se préparer à leur vie de citoyen, « les élèves devront être capables de jugement et d’esprit critique ». L’école remplit sa fonction lit-on également - lorsqu’elle développe chez l’élève des attitudes « indispensables tout au long de la vie, comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité. » Comment, de même, l’enseignant d’histoire-géographie n’approuverait-il pas l’objectif affiché : « maîtriser le socle commun (...), c’est posséder un outil indispensable pour continuer à se former tout au long de la vie afin de prendre part aux évolutions de la société ; c’est être en mesure de comprendre les grands défis de l’humanité, la diversité des cultures et l’universalité des droits de l’homme, la nécessité du développement et les exigences de la protection de la planète » ? L’histoire-géographie, partie intégrante de la « culture humaniste » doit contribuer « à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité. Elle enrichit la perception du réel, ouvre l’esprit à la diversité des situations humaines, invite à la réflexion sur ses propres opinions et sentiments (...) ».  En un mot, ces disciplines doivent « ouvrir au monde ». Le socle, dans sa formulation, semblait donc devoir conduire, inéluctablement, à des programmes d’histoire-géographie renouvelés, comme c’est d’ailleurs le cas dans plusieurs matières, visant, en donnant  « du sens » aux apprentissages, en ouvrant au monde, à dépasser le cadre étroitement événementiel, trop souvent hexagonal, dans lequel ils sont maintenus.

Malheureusement, à l’Education nationale, les mauvaises habitudes semblent avoir repris la main et les instructions et programmes officiels arrivés jusqu’aux enseignants n’ont plus qu’un lointain rapport avec les principes affichés. Ainsi à l’école primaire, pour le cycle des approfondissements, si le Bulletin officiel (n°5, 12 avril 2007) reprend bien en partie les recommandations du socle, on chercherait en vain dans le programme d’histoire une trace quelconque de cette « ouverture au monde » qui semble n’être plus qu’un vœu pieux. Le programme est exclusivement organisé autour de l’histoire de France, « dans l’ordre chronologique » est-il précisé, c’est-à-dire, pour l’essentiel, la chronologie des régimes politiques et des guerres, chronologie arbitraire et abusive : on est consterné de lire que pour les auteurs du programme, l’Empire romain « succède » à l’Egypte et à la Grèce ou encore « à l’école primaire, le programme commence avec l’entrée de notre territoire dans l’Histoire, c’est-à-dire avec l’arrivée des Grecs et des Celtes ». Leur souci affiché de la chronologie n’empêche pourtant pas nos auteurs de proclamer dans un saisissant raccourci : « Après les invasions [4e-5e siècles], naissance de la France », reprenant avec aplomb les clichés les plus éculés des historiens du 19e siècle, ignorant tous les apports de l’historiographie du 20e siècle. Un peu plus loin, on apprend que le Moyen Age est « une période décisive dans notre passé national, avec le nom même de notre pays (...) ».  « Notre territoire...notre pays...notre passé national », cet adjectif possessif martelé avec une insistance puérile et ridicule risque à vrai dire de poser un problème d’identification à une proportion non négligeable de nos élèves, à la peau un peu plus sombre que les autres et  dont les ancêtres proches sont à rechercher de l’autre côté de la Méditerranée. Ceux-là n’ont donc ni passé, ni territoire, ni pays, ni histoire ; ont-il seulement une existence réelle ? Quant aux autres, ceux qui ont la peau plus claire, qu’on appelle parfois les Français « de souche », est-il vraiment indispensable à la construction de leur personnalité de leur faire croire à ce mythe mensonger des origines ? Il est vrai, qu’un peu plus tôt, dans le cycle des apprentissages fondamentaux, ces élèves auront pris « progressivement conscience de [leur] appartenance à une communauté nationale à partir de l’écoute de quelques récits historiques et littéraires lus par le maître et en découvrant l’inscription de la France dans un espace géographique ». Dans sa volonté de forger chez chaque enfant une conscience nationale, l’Inspection générale a bien pris soin de gommer tout ce qui pourrait faire tache, comme par exemple, la question de l’esclavage (1), qui n’a plus sa place dans les programmes officiels. C’est également le moment où l’enseignant leur explique « la signification des grands symboles de la France et de la République : l’hymne national, le drapeau (...) ». On ne précise pas si les élèves devront se tenir au garde-à-vous... A l’école de la république, les Africains n’ont pas d’histoire, pas davantage que les Asiatiques, pas davantage que les Américains, sinon lorsqu’ils sont « découverts » par les Européens. L’étranger n’apparaît qu’à travers le guerrier ou l’envahisseur, c’est-à-dire toujours sous la forme d’un danger. Mais où diable la peur, le rejet de l’autre, le racisme et la xénophobie prennent-ils leur source – au moins partiellement – sinon dans l’incapacité d’un système éducatif incapable d’élaborer pour les enfants une approche historique qui ne soit ni fantasmée ni pernicieuse ?  En ce début du 21e siècle, les programmes scolaires ne se sont toujours pas détachés du mythe de « nos ancêtres les Gaulois ». Ce qui rend possible n’importe quelles manipulations politiques, comme par exemple les divagations d’un ministre de l’Identité nationale et de l’immigration.

(1)http://journaldecole.canalblog.com/archives/2007/10/01/index.html


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Commentaires
T
euh disons pour faire simple les frontieres depuis 45 sans lalgerie :)... si il faut tout definir et discuter on na pas fini lofi... a moins que vous ayez envie de reprendre Aix la Chapelle ?
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L
faudrait voir ce que vous entendez par "France" car les frontières sont elles-aussi évolutives dans l'histoire !
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M
... de confirmer que l'assertion de Lubin ("un pays n'a pas d'histoire") est parfaitement absurde.
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L
Bien sur que si la France a une histoire constitutive mais c'est celle d'une construction muticulturelle qui s'étale du néolithique à nos jours... pas celle dont vous rêvez !
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T
aucun pays donc n'a d'histoire constitutive, avérée, Ce n'est pas qu'en France donc j'imagine. L'histoire étant une construction sociale, un mythe à visée nationaliste, j'en conclus que les profs d'histoire sont au pire des nationalistes, au mieux des escrocs.
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