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DAUZAT Albert, "L’Argot de la guerre. D’après une enquête auprès des officiers et des soldats"

Armand Colin, (1918) , 278 p., 18 €

samedi 9 février 2008, par Antoine MICHELOT

Présentation de l’éditeur :

Comment traduire l’horreur des tranchées, comment exprimer l’épouvante (un millier de morts par jour en moyenne), ou s’en affranchir par la dérision ? La Grande Guerre se donne à entendre via une inventivité lexicographique sans précédent. Se mêlent à l’argot parisien les mots des casernes de France et d’Algérie, les provincialismes et les créations de la guerre. Les abeilles sont les balles qui sifflent aux oreilles des malheureux zonards, les soldats. S’il est blessé par une aiguille à tricoter (baïonnette), par le zim-boum (obus de 88) ou par un quelconque Michel (mitrailleur allemand), le poilu parviendra peut-être à carotter la brute (faire la bête pour esquiver un ordre), acheter (dérober) du allouf (porc) et se rapprocher subrepticement de la marie-salope (cuisine roulante) pour becqueter... De tout ce vocabulaire né dans la boue et le sang du front ou dans les plaisirs de l’arrière, bien plus de mots que nous ne l’imaginons nous sont restés, transmis par la mémoire populaire ou... ce travail exemplaire d’Albert Dauzat.

Biographie de l’auteur :

Pionnier de la patronymie française, Albert Dauzat (1877-1945) a été mobilisé en 1914 et a publié les résultats de son enquête à la fin de la guerre.

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L’argot de la guerre : D’après une enquête auprès des officiers et des soldats


Un espéranto né dans la boue

Pendant que le pays comptait ses morts, un homme se mit à compter les mots que la guerre avait enfantés. Linguiste galonné, auteur d’une thèse sur la géographie phonétique de la Basse-Auvergne, Albert Dauzat publia en 1918 une très sérieuse enquête sur le langage des combattants (L’Argot de la guerre, Armand Colin, 278 p., 18 €). Il fut le premier surpris du résultat. En quatre ans, constatait-il, la langue française s’était enrichie de plus de 3 000 mots ou expressions, dont un tiers de purs néologismes !

On sait depuis Barrès que les tranchées ont rapproché les "diverses familles spirituelles de la France". On apprend avec Dauzat qu’elles furent aussi un formidable creuset linguistique. C’est alors que le Lyonnais eut le loisir d’y partager sa gnôle, le Champenois son pinard, l’Angevin sa tambouille et l’Arabe son caoua. Autant de mots qui se répandirent comme une traînée de poudre. A l’instar de ces vieux termes confinés jusque-là aux bas-fonds parisiens : nul ne pouvait plus ignorer, désormais, ce que signifiait aller en tôle, se faire zigouiller ou être rétamé. De même que l’on découvrit, grâce au béarnais, que l’on pouvait aussi se faire traiter de fils de pute...

Albert Dauzat aurait pu se contenter d’un relevé pittoresque de ce qu’on appelait à l’époque "l’argot des tranchées". Il a fait bien mieux. Chaque exemple, sous sa plume, est décortiqué à l’aune d’un phénomène linguistique reconnu (altération, métaphore, emprunt, etc.). Et chaque étymologie y est discutée. On y apprend ainsi que le verbe roupiller, qui connut en 1914-1918 un grand succès, était connu à l’intérieur de l’armée depuis le XVIe siècle. Une époque où les soldats français découvrirent la roupille, le large manteau dans lequel leurs adversaires espagnols se drapaient pour dormir.

On l’aura compris : ce livre est indispensable pour tout comprendre à l’aventure lexicologique du boche et du poilu, décrypter le mystère du frometon et de la barbaque, ou sonder l’origine du mot toubib. Indispensable, aussi, pour retrouver le sens perdu, une fois la guerre terminée, de la rognure de taxi, des mies de pain mécaniques et des assiettes plates. Car c’est bien là l’ironie de l’histoire : en matière de mots, on se dit que la paix fut finalement une plus grande faucheuse que la guerre.

Thomas Wieder

Un espéranto né dans la boue
LE MONDE DES LIVRES | 10.01.08
© Le Monde.fr

Les Clionautes

abc de la langue française

P.-S.

MàJ : 8/08/2010

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